À l’âge des petits lecteurs de Pomme d’Api (3-7 ans), il arrive que se nouent des relations très fortes entre deux enfants. Le mot “amour” s’invite alors facilement sur toutes les lèvres. Qu’en est-il vraiment ? Et quelle attitude adopter ? Un dossier du supplément pour les parents du magazine Pomme d’Api de juin 2018, à lire en intégralité ci-dessous.
Qui parle d’amour ?
Depuis la petite section, Sidonie ne parle que de Timéo. En arrivant le matin à l’école, ils sont ravis de se retrouver. Le week-end, ils veulent s’inviter l’un l’autre. Pendant les vacances, ils pensent l’un à l’autre. Ils jouent très bien ensemble, semblent très complices. Amoureux ?
Le plus souvent, ce sont des adultes ou des grands frères ou grandes sœurs qui vont d’abord désigner un lien fort entre deux enfants par le terme “amour”. Cette étiquette “va leur venir particulièrement quand il s’agit d’une relation garçon-fille”, constate Rachel Briand-Malenfant, psychologue clinicienne, auteure d’un ouvrage sur ce sujet (voir en fin d’article). Selon elle, ce recours au vocabulaire amoureux est avant tout le signe d’un attendrissement de l’adulte face à une relation de tendresse entre deux enfants.
Pour autant, s’agit-il vraiment d’amour ? Attention à nos lunettes d’adultes, met en garde la psychologue : il faut distinguer ce que peut vivre un enfant de ce qu’entendent les adultes par “amour”.
Un enfant, bien sûr, peut éprouver de l’amour. Il en éprouve déjà pour ses parents, ses frères et sœurs, ses proches. Lorsque son cercle familial s’élargit pour s’ouvrir aux premières relations sociales, avec la crèche, puis, surtout, avec l’école, il arrive qu’un ou plusieurs camarades se distinguent. L’enfant cherche leur présence, manifeste un grand désir de passer du temps avec eux. Certains vont échanger des gestes d’affection : se tenir la main, se faire un câlin, s’embrasser, s’offrir des petits cadeaux. Ce sont des gestes qu’ils ont expérimentés avec leurs parents depuis leur naissance : normal qu’ils les répètent spontanément quand ils éprouvent de l’affection pour un pair.
“On ferait comme si”
À cet âge-là, l’imitation participe fortement au développement de l’enfant. “Chaque enfant se fait une représentation d’une relation amoureuse en regardant les adultes autour de lui”, explique Rachel Briand-Malenfant. Certains vont retenir que l’on se fait un bisou, d’autres que l’on s’offre des fleurs, et chercher à faire pareil avec leurs amis et amies.
Les histoires lues, les contes, les films, influencent aussi leur monde fantasmatique et leurs représentations. Tous ces ingrédients vont se retrouver dans des jeux de “faire semblant”, y compris en jouant à la vie des adultes, pour l’heure inaccessible : on joue au papa et à la maman, à la princesse et au chevalier…
Des histoires d’amour peuvent ainsi se jouer comme au théâtre. Tout cela contribue à aider l’enfant à déceler, peu à peu, qui il est. Cela explique aussi le côté “girouette” : “À l’école, j’ai un amoureux et deux amoureuses”, déclare Émilie. “Julie, c’est plus mon amoureuse, maintenant, c’est Alicia”, annonce Jules. Ces changements parfois difficiles à suivre n’ont rien de surprenant : “Alors que l’adulte a une identité consolidée, celle de l’enfant est en construction.” Pour la construire, ce dernier procède par tâtonnements, par expériences. Pour lui, les notions d’exclusivité, de fidélité n’ont pas cours.
Ah, ces grandes personnes !
Mais quand bien même ces histoires “d’amour” seraient versatiles, elles sont à respecter. La difficulté, pour les adultes (parents, enseignants) consiste à n’en faire ni trop, ni trop peu. Car souvent, sans être malintentionnés, nous sommes maladroits. On va sourire de ces “amours”, on va laisser les plus grands chanter “Oh, les amoureux !”, on va appeler Papi et Mamie pour leur confier en chuchotant : “Ah, ben dis donc, ton petit-fils est un séducteur, figure-toi qu’il a une amoureuse !” Mais ces paroles peuvent avoir différents effets. Celui, déjà, d’invalider les émotions vécues par l’enfant. Celui aussi de lui passer l’envie de se confier à ses parents la prochaine fois. “Or, ces émotions, même fugaces, peuvent être déroutantes, et c’est important pour l’enfant de pouvoir en parler !”
La psychologue prône plutôt la discrétion, et invite à ne pas coller des mots ou un regard d’adulte sur ce que vit l’enfant : “La pensée de l’adulte ne doit pas faire intrusion dans celle de l’enfant.” Quand un enfant annonce : “J’ai un amoureux”, “J’ai une amoureuse” (qu’ils soient du même sexe, un ou plusieurs), engageons une conversation chaleureuse avec lui, sans le soumettre à un interrogatoire, pour essayer de comprendre ce que cela représente pour lui, ce qui est différent avec ce camarade. On peut cependant être ébranlé d’entendre son enfant parler sans cesse d’un autre.
Écoutons aussi alors ce qui se passe à l’intérieur de nous : est-ce que je ressens un malaise, un chagrin de voir mon enfant grandir ? Un enthousiasme ? Parfois, il faut se laisser un peu de temps, pour échanger avec son conjoint ou avec d’autres parents, avant de pouvoir accueillir ce qu’exprime l’enfant.
Gardons toutefois à l’esprit que les sentiments des enfants ne sont pas “teintés” de la même façon que ceux de l’adulte, qui ont une dimension sexualisée et sentimentale différente. Il peut arriver que l’on surprenne entre deux enfants des gestes à caractère explicitement sexuel. S’agit-il d’une curiosité anatomique pour s’informer sur les différences entre les sexes, qui se manifeste par un désir de regarder ? Aux adultes alors de souligner qu’il y a d’autres façons de s’informer : questionner, lire un livre sur “comment on fait les bébés” ou sur le corps humain.
L’amour, c’est positif !
Vivre une relation très forte à la maternelle n’est certes pas une obligation. Mais on peut y lire en tout cas le signe de la curiosité, de l’appétit de vivre et de découvrir. Ces expériences affectives sont l’occasion pour l’enfant d’expérimenter une foule d’émotions, comme la joie d’être ensemble ou de se retrouver, la déception de ne pas être aimé en retour, la crainte de la rivalité… Il découvre progressivement les relations qu’il peut nouer à l’extérieur de son cercle familial. Quelle richesse !
Témoignages
• En petite section, mon fils était amoureux d’une petite fille. Ils jouaient ensemble, voulaient partager du temps juste tous les deux, se faire des bisous… Relation exclusive de son côté, moins du côté de la petite fille. Ça ennuyait beaucoup mon petit loup, qui était déçu mais toujours très amoureux.” Aurélie (via Facebook)
• “En moyenne et grande section, ma fille avait un très bon copain. Ils étaient toujours ensemble. La maman du petit garçon s’est mise à les appeler “les amoureux”. Ça m’a beaucoup gênée !” Anne-Lise
• “Au début de l’année, un de mes élèves a eu un très gros chagrin d’amour : son amoureuse l’a quitté. Il était en larmes. Et son copain de commenter :
– Mais tu sais, maîtresse, à notre âge, l’amour, ça ne dure pas longtemps. Deux ou trois jours !” Paola, enseignante
• “Ma fille a deux copains dans sa classe de petite section. Elle me parle d’eux tous les jours. Dès le premier jour, ils se sont trouvés tous les trois.” Charlotte (via Facebook)
• “Ma fille a invité son copain à dormir. J’ai installé un matelas au sol, à côté de son lit.
– Mais Maman, si Jojo est par terre et moi dans mon lit, comment on va faire pour se faire des bisous ?” Céline (via Facebook)
• “Un jour, mon fils de 5 ans rentre en larmes de l’école. Il me raconte que c’est fini avec Sarah. En pleurant, il me confie :
– Le problème, Maman, c’est que je ne sais plus avec qui je vais me marier !” Véronique (via Facebook)
À lire
- L’amour et l’amitié chez les enfants de Rachel Briand-Malenfant, Éditions du CHU Sainte-Justine, Montréal.
Un livre simple et clair sur les premières relations des enfants. De 0 à 12 ans. - Les amoureux sont trop bêtes ! de Davide Cali, Roland Garrigue, Sarbacane.
“Beeeurk, l’amour, c’est dégoûtant !”, pense un petit garçon en observant les couples de toutes sortes qui se promènent dans le parc. Jusqu’à ce que… Un album plein d’humour, pour rire et s’attendrir.
“L’amour à hauteur d’enfant”, supplément pour les parents du magazine Pomme d’Api, n° 628, juin 2018. Texte : Anne Bideault. Illustration : Aki.