À l’âge de la maternelle, les questions, les “gros mots”, les gestes ou les regards, certains jeux… traduisent la curiosité sexuelle des enfants. À laquelle il est nécessaire que les adultes répondent, sans en faire trop, ni pas assez. Les conseils du magazine Pomme d’Api…
Comprendre une nouvelle étape de son développement
“Est-ce que t’as un zizi, toi ?” L’intérêt pour les organes sexuels coïncide souvent avec l’âge de la maternelle. Ne serait-ce que parce que l’enfant accède à cet âge-là à la propreté et dit enfin adieu aux couches. Or, constate Anne Bacus, psychologue et sexologue, “cet endroit de son corps était jusque-là inaccessible à ses mains, enfoui sous les couches… Normal donc qu’il l’explore, comme il a exploré ses orteils, ses oreilles, etc.”
La maternelle est aussi un lieu propice à l’observation. Laurence Fayolle est professeure des écoles. Elle enseigne en petite section depuis de nombreuses années. “Nous allons tous ensemble aux toilettes, garçons et filles mélangés. Ils s’observent et celui qui est regardé n’est pas gêné. Les uns attendent leur tour, pantalon baissé, les autres oublient de remonter leur culotte pour se laver les mains, c’est très “nature” ! Aux toilettes, on fait salon !” La maîtresse et son atsem saisissent l’occasion pour glisser quelques explications : “Quand ils me demandent : “Pourquoi les garçons ont un zizi ?”, j’explique que le sexe des filles est à l’intérieur, c’est pour ça qu’on le voit moins.”
C’est également la période où l’enfant pose un regard curieux sur la nudité de ses parents. Autour de 3 ans, la différence sexuelle se structure : est-ce que mon corps est construit comme celui de Papa ou de Maman ? “Chaque début d’année scolaire, note Laurence, j’ai quelques élèves qui ne savent pas encore clairement s’ils sont une fille ou un garçon. Ils sont eux, c’est tout !” Peu à peu, l’enfant s’identifie comme étant une fille ou un garçon et range ceux qui l’entourent en deux “paquets” : c’est une dame, c’est un monsieur… Pointe alors l’interrogation : nous avons tous deux yeux, deux bras, un nez, mais pourquoi sommes-nous différents de ce côté-là ?
Parler d’intimité et de consentement
La curiosité des enfants s’exprime par des questions et des regards, mais parfois aussi par des gestes et des jeux du type “Papa et Maman” ou “le docteur”, parfois de l’exhibition. À l’âge de Pomme d’Api, tant qu’aucun enfant n’est forcé par un autre, “on dédramatise, tempère Anne Bacus. Ils ont tous le même âge, ça n’est pas grave. En l’absence de contact, une petite fille à qui on a soulevé la jupe n’est pas traumatisée, sauf si les parents en font tout un pataquès. L’adulte peut juste expliquer qu’on ne touche pas le corps des autres et qu’on ne montre pas le sien à l’école.” Même point de vue côté enseignant. “Ils ont un rapport très naturel avec leur corps, observe Laurence Fayolle. Ils soulèvent leur T-shirt et montrent leurs ventres… Des petites filles soulèvent leur robe, des garçons montrent leur slip… Dans ces cas-là, je leur dis en riant : “Est-ce que la maîtresse montre sa culotte ou son ventre ?”
Ces comportements sont une bonne occasion de leur parler d’intimité et de consentement, en expliquant : “Ce sont des parties de ton corps que tu gardes pour toi, et que personne n’a à toucher. Et toi, tu n’as pas à toucher le corps de quelqu’un s’il n’est pas d’accord.” À la maison, conseille Anne Bacus, les parents doivent se comporter comme ils disent à leurs enfants de se comporter : on respecte et on fait respecter l’intimité de chacun. Pas la peine pour autant de se draper dans un peignoir pour traverser le couloir entre la douche et la chambre si on ne l’a jamais fait jusque-là, mais on ne se laisse pas toucher.
Rien d’anormal non plus à ce que les enfants, petits garçons ou petites filles, se caressent leur propre sexe. Christine se souvient encore de sa stupéfaction lorsqu’elle a trouvé ses deux filles dans le bain, jouant avec le jet de la douche : “Essaie, ça chatouille, c’est agréaaable !” Il convient simplement de les appeler à la pudeur : “Tu peux le faire dans ta chambre, quand tu es tout seul.” Toutefois, si l’on se rend compte que l’enfant le fait souvent, que son pénis ou sa vulve est irrité, autant se tourner vers le pédiatre pour écarter toute cause physiologique ou psychologique : est-ce venu d’un coup ? Qu’a-t-il vu, entendu ? “À cet âge-là, souligne Anne Bacus, si ça prend beaucoup de place, ce n’est pas banal.”
Accueillir toutes les questions sur la sexualité
“Ça veut dire quoi, fellation ?”, “Faire l’amour, c’est quoi ?” Stupeur dans la cuisine… À la maternelle, notre enfant est mêlé à une multitude d’enfants, qui ont parfois des frères et sœurs aînés, entendent d’autres mots, se posent d’autres questions, les répètent… “Les adultes sont décontenancés, c’est bien normal, commente Anne Bacus. Il y a toujours un décalage entre ce qu’on imagine de l’avancée des enfants et là où ils en sont vraiment.” Les adultes sont gênés, car ça les renvoie à leur intimité et à des pratiques d’adultes – alors que l’enfant, lui, n’a rien de particulier en tête. Pour autant, faire comme si on n’avait pas entendu, ou gronder : “Où as-tu entendu parler de ça, c’est pas de ton âge !” ne ferait qu’enterrer le sujet tout en le rendant encore plus attractif. Car ce que l’enfant cherche à savoir avant tout, c’est : “Est-ce que je peux poser tout type de questions ? Mes parents vont-ils accueillir ces questions ?” Il est impératif que l’enfant sente que le dialogue est possible.
Pour formuler une réponse, deux conseils. Tout d’abord, vérifier son niveau et son désir de connaissance en l’interrogeant en retour : “Et toi, qu’en penses-tu ?”, “À ton avis ?” Puis, recommande Anne Bacus, répondre “en se mettant non pas au niveau de la question mais au niveau de l’enfant, sans faire comme s’il était grand.” Par exemple : “C’est une forme de câlin, quand deux adultes s’aiment beaucoup.” Avant de clore la discussion, prenons soin de laisser la porte ouverte à d’autres questions : “Est-ce que ça répond à ta question ? Est-ce que tu veux me demander autre chose ? Tu peux revenir me voir si tu as d’autres questions.” Le plus important, c’est qu’il sente qu’il peut en parler. Mieux vaut qu’il nous demande à nous plutôt qu’aux copains, ou, plus tard, qu’il aille se renseigner sur Internet.
Dire simplement… et répondre aux attentes de l’enfant
Bien souvent, il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails et de tout expliciter. Il suffit souvent de dire simplement que pour faire un bébé, il faut une graine de papa et une graine de maman, et qu’ensemble, elles se mélangent et grossissent dans le ventre de la maman. Inutile de déballer notre cours de SVT. Ce qui l’intéresse, à cet âge-là, ce n’est pas technique et mécanique, mais porte plutôt sur les relations humaines. «Je suis maîtresse de petite section depuis des années, constate Laurence, et ils ne m’ont jamais questionnée directement sur “comment on fait les bébés”. Pourtant, il y a beaucoup de mamans enceintes ! Ils sont davantage préoccupés par l’arrivée du bébé, ce que ça va changer pour eux, leur place.” Un enfant qui demande “Comment on fait un bébé ?” s’interroge en fait sur sa propre histoire. Lui parler d’amour, de sentiment, de désir, de tendresse, comblera davantage son attente qu’une explication purement physiologique.
Cela vaut aussi pour les enfants dont les parents sont séparés. Il est essentiel que l’enfant sache qu’il a été désiré. Et quand l’histoire de sa naissance est moins commune, par exemple dans le cas d’une procréation médicalement assistée ou d’une adoption, Anne Bacus recommande de préciser “qu’il faut forcément deux petites graines pour faire un bébé, celle d’un homme et celle d’une femme.”
Et si l’on n’est pas à l’aise avec ces questions, on peut le dire : “Je ne suis pas à l’aise, et si tu veux en parler un peu plus, tu peux questionner untel, ou on va prendre un livre à la bibliothèque.”
Le tout étant de suivre l’enfant dans ses questionnements, sans le précéder. Pour ajuster au plus près notre réponse avec des mots à hauteur d’enfant.
Quelle éducation sexuelle à l’école ?
La rentrée scolaire 2018 a été précédée de diverses rumeurs concernant l’éducation à la sexualité dès l’école maternelle. “On va leur apprendre à se masturber !” se sont exclamés des détracteurs de mauvaise foi. Rien de tout cela. La secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et le ministre de l’Éducation nationale ont simplement réclamé que soit appliquée la loi de 2001, qui introduit l’éducation à la sexualité dans le Code de l’éducation. Pour l’école élémentaire (maternelle et primaire), la dimension sexuelle est laissée de côté : l’accent sera mis sur “la connaissance, le respect de soi, de son corps et le respect d’autrui.”
Un des objectifs visés est que les enfants intègrent les notions de consentement, de respect de l’intégrité physique, et d’égalité entre femmes et hommes. Un pas essentiel pour prévenir les violences sexuelles, dont la majorité des victimes sont mineures.
Pour aller plus loin :
- L’article sur l’éducation à la sexualité, disponible sur le site eduscol.education.fr
- Le livret “Stop aux violences sexuelles faites aux enfants”, pour les 7-13 ans, à télécharger sur le site bayard-jeunesse.com
“Comment fait-on les bébés et autres questions gênantes”, Pomme d’Api n°637, mars 2019. Texte : Anne Bideault. Illustrations : Jean-Louis Cornalba.