Non, tout n’est pas rose et facile dans le royaume de l’éducation “positive” ou “bienveillante”, comme le laissent croire la multitude d’ouvrages, de blogs ou de pages Instagram de mamans parfaites. Et de nombreux parents, découragés sous cette avalanche de conseils parfois proches de la tyrannie, se montrent de plus en plus critiques. La rédaction du magazine Pomme d’Api vous invite à faire le point dans son numéro d’octobre…
Les bienfaits de l’éducation positive…
Mère de trois petits de 6 ans, 4 ans et 9 mois, Alix le reconnaît sans mal : dans sa maison toujours fourmillante, l’éducation positive a apporté du mieux. “Depuis que je m’y suis mise, j’essaie d’expliquer davantage les choses à mes enfants, d’être plus à l’écoute de leurs besoins, de leurs sentiments. Cela apaise les relations”, admet la trentenaire.
Chez Aude, maman d’une fillette de 7 ans, l’éducation positive a aussi porté ses fruits : “On réalise que l’enfant a la même valeur que soi. Le rapport est moins vertical, plus horizontal. Ma fille a une conscience beaucoup plus aiguë de ses émotions que je ne l’avais moi-même à son âge.”
Ce n’est pas Catherine Dumonteil-Kremer, auteure, formatrice et pionnière dans le domaine, qui dira le contraire : “Cela permet d’aider son enfant à connaître son environnement, à mieux se connaître lui-même (comment il fonctionne, comment les autres fonctionnent), afin de lui donner la carte la plus précise du monde dans lequel il est amené à évoluer.”
L’éducation de “ceux d’en haut” ?
Tout serait donc rose et facile dans le royaume de la parentalité positive ? Évidemment, cela serait un peu trop simple… Et des voix s’élèvent pour en pointer les travers.
“L’éducation positive dénie le contexte politique, social, dans lequel parents et enfants évoluent”, s’agace le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan, auteur de “Comment survivre à ses enfants ? Ce que la parentalité positive ne vous a pas dit”. Comprendre : l’éducation positive peut apparaître comme un outil réservé aux CSP+. Alix le formule autrement : “Il faut avoir des ressources et aussi du temps. Ce que toutes les familles n’ont pas.”
La journaliste Béatrice Kammerer, auteure du passionnant “L’éducation vraiment positive” relève qu’effectivement, “l’éducation positive demeure un truc de privilégiés. Ce sont des gens qui ont accès à un “background” théorique et qui se le sont approprié. Or, certains parents d’origine populaire ne se sentent pas légitimes à contester l’autorité d’une éducation classique.” Un écueil dont Catherine Dumonteil-Kremer est bien consciente et soucieuse. Pour elle, il est essentiel de communiquer avec toutes les sphères de la société et d’aller “chercher” d’autres parents. Des formations peuvent ainsi être financées par la CAF, les centres sociaux.
En revanche, pour Béatrice Kammerer comme pour Catherine Dumonteil-Kremer, le reproche fait à l’éducation positive selon lequel elle ne préparerait pas les enfants à la dureté de la “vraie vie” ne tient pas. “C’est le contraire, s’exclame Catherine Dumonteil-Kremer, l’éducation positive, c’est apprendre les vraies relations, à dire “oui” ou “non”. Ce sont des choses qui posent des fondations. Plus on s’évertue à créer une enfance heureuse, plus on sera en mesure, plus tard, de faire face à l’adversité. Béatrice Kammerer approuve : “L’éducation positive donne de la force pour discuter, échanger. Quand bien même l’enfant est confronté à des gens qui n’en seraient pas des partisans. Justement, elle peut être utile face à une maîtresse austère, un grand-père un peu réac…” Aude a pu juger sur pièce : “Bien sûr, c’est parfois un peu pénible quand ma fille discute ce que je lui demande. Mais qu’elle n’obéisse pas à quelqu’un sans réfléchir, je me dis que c’est mieux pour plus tard.”
Je vous ajoute ça à votre charge mentale ?
Autre point épineux : la prise en charge de l’éducation positive demeurerait une fonction essentiellement dévolue aux femmes, en en rajoutant une couche côté charge mentale. Rien d’étonnant pour Béatrice Kammerer puisque “les compétences travaillées dans l’éducation positive sont naturellement attribuées aux femmes : le travail émotionnel, la reformulation des sentiments, le ‘care’.”
Alix reconnaît qu’à la maison, c’est effectivement elle qui s’est attelée à la lecture sur le sujet et à sa mise en œuvre. Aussi quand elle prend 25 minutes pour dénouer par les mots une situation de crise avec ses enfants et que son mari déboule “pour pousser un coup de gueule”, elle a un peu le sentiment de voir le château de cartes qu’elle avait patiemment élevé s’effondrer d’une pichenette conjugale. “Je ne lui en veux pas, parce qu’il pense bien faire. Bon, c’est peut-être moi aussi qui me mets un peu la pression…”
Vade retro Instagram !
Pression, le mot est lâché. L’éducation positive mal digérée peut avoir tendance à nous transformer en manager d’une PME qui ne serait autre que… notre progéniture ! C’est la dimension perverse de l’effet de mode : “Le risque, c’est que l’éducation positive soit vue comme un objectif à atteindre avec des cases à cocher”, souligne Béatrice Kammerer. “On est beaucoup dans un discours de réussite, remarque Patrick Ben Soussan. Avec, de façon sous-jacente, la question de la visibilité : il faut que le fait qu’on “réussisse” avec notre enfant se voie, s’entende.” Et à ce petit jeu-là, les réseaux sociaux constituent une formidable caisse de résonance.
Alix souligne les complexes qu’il y a à suivre sur Instagram ces mamans chantres de l’éducation positive, chez qui les enfants ont tous l’air formidable 24 heures sur 24, le tout dans une maison où les jouets Montessori cohabitent avec les meubles de designer. Forcément quand on regarde ça et qu’on est dans un jour “sans” avec ses enfants, on a vite fait de culpabiliser : “Si je n’y arrive pas, c’est que je suis un mauvais parent”.
Aude, elle, peste contre ceux qu’elle appelle “les prédicateurs” : “Ces parents qui, à longueur de posts Instagram vous expliquent avec de grands sourires que tout est génial. Eh bien non ! La vie, ce n’est pas si binaire ! On peut être un jour “dans ” l’éducation positive et ne pas y arriver le jour suivant !”. Et d’ajouter : “Plutôt que de nourrir les parents de conseils, il vaudrait mieux les nourrir de confiance.”
Les joies du bricolage de la “parentalité créative”
C’est peut-être l’un des plus gros contresens. Alors que l’éducation positive devrait entretenir la confiance des parents, elle semble l’avoir parfois grignotée. Jusqu’à fragiliser même les parents qui “n’y arrivent pas”… Or, pour Aude, tout n’est pas à prendre pour argent comptant. “Quand je lis, en matière d’éducation positive, quelque chose qui me “gonfle”, je me dis juste que cela ne me correspond pas, point barre.” Et pour cause : il n’y a pas “une” bonne façon d’être parent.
À la notion d’éducation positive, Catherine Dumonteil-Kremer préfère d’ailleurs celle de “parentalité créative”. Car l’adjectif “positive” induirait qu’il existerait, par effet-miroir, une “parentalité négative”. Or, à de rares exceptions, nous tendons tous à être de bons parents ! Ce n’est donc sans doute pas un hasard si Patrick Ben Soussan, comme Béatrice Kammerer et Catherine Dumonteil-Kremer utilisent tous trois la métaphore du bricolage. Et invitent à relâcher cette fichue pression. “L’idée de la réussite s’impose comme une norme. Or Claude Lévi-Strauss disait que la capacité de l’humain, c’est le bricolage. Bricoler avec nos vies, c’est déjà pas mal”, estime Patrick Ben Soussan.
Pour Catherine Dumonteil-Kremer, la peur d’être vus comme de mauvais parents – sur laquelle jouent habilement certains “marketeurs” de l’éducation positive – et donc l’envie d’en faire trop, peut nous nuire : «Il faut se débarrasser de ce sentiment diffus de ne pas faire ce qu’il faut. Pour cela, on peut se dire : “Oui, je fais des bourdes avec mon enfant, mais je peux les réparer.”» Plutôt que les recettes élaborées par d’autres, elle préconise le tâtonnement : “Mieux vaut fabriquer “à la main” nos méthodes, plutôt que d’en appliquer des toutes faites”.
Béatrice Kammerer elle, nous invite à voir l’éducation positive dans la joie de la recherche plutôt que dans l’angoisse du résultat : “L’idée est de vivre une parentalité d’expérience, de scientifique curieux. La parentalité, ce sont des compétences de bricolage et d’ajustement.” Aude, elle, file la métaphore culinaire : “Le parent est comme un chef de restaurant. Il y a des recettes, mais, à la fin, le maître dans la cuisine, ça reste lui. On fait en fonction de ses capacités et des jours.” Et on peut tout simplement ne pas se culpabiliser si on ne se retrouve pas forcément dans les principes de l’éducation positive. Elle est une voie parmi d’autres. Car comme le souligne Béatrice Kammerer : “Elle n’a pas le monopole de l’éducation libératrice”.
Toutes ces fois où nous faisons de la “parentalité créative”, sans forcément le savoir…
- Quand nous faisons des câlins à nos enfants.
- Quand nous prenons le temps de l’écouter nous raconter sa journée.
- Quand nous regardons un film en famille en grignotant de la nourriture sympa.
- Quand nous jouons à des jeux de société avec lui
- Quand nous trouvons un jeu pour l’inciter à venir prendre son bain, sans nous braquer, sans le braquer.
- Quand nous donnons la priorité au plaisir de vivre ensemble avec nos enfants.