Mentir ou ne pas mentir ? Telle est l’insoutenable question que votre ado s’est sans doute déjà posée avant d’y répondre… positivement ! Tout comme ses copains, ou vous, ses parents. Eh oui, en moyenne tout le monde ment au moins deux fois par jour ! Parfois pour le pire (et mieux vaut en parler !), mais aussi souvent pour le meilleur, car le mensonge est indispensable à la vie en société. Reste à user du mensonge avec modération et à interroger ses motivations. Explications du magazine Phosphore…
Tous mytho ?
Article extrait du magazine Phosphore (pour les 14-19 ans)
Imagine l’ambiance si tu balançais à Tata Micheline que son cadeau de Noël – un poncho bariolé 100 % poils de chameau – va finir illico dans le panier de ton labrador ? Ou encore si tu avouais à ton prof de maths que son cours est aussi clair que l’eau de ton bain après un footing dans la boue ? Ou enfin si tu conseillais à ton ami d’abandonner ses rêves de gloire après avoir entendu son cover – très gênant – de “Balance ton quoi” ? Bref, toute vérité n’est pas bonne à dire, sauf à souhaiter la bagarre. Reste à user du mensonge avec modération et d’interroger tes motivations… Histoire au moins de ne pas te mentir à toi-même.
Le mensonge égoïste
- Le mensonge de Simon, 15 ans : “Pour être sélectionné lors d’un match de foot important avec mes potes, je n’ai pas dit que je m’étais blessé et que j’avais la cheville en vrac. Je ne regrette pas même si j’ai eu hyper mal !”
Courir et taper le ballon dans ton état, c’était t’exposer à une blessure plus grave et te voir ainsi privé de foot pendant de longs mois. Mais tu as choisi de courir le risque, motivé par la récompense : être sélectionné, peut-être au détriment d’un camarade en pleine possession de ses moyens. “C’est un mensonge que l’on qualifie d’égoïste, c’est-à-dire qu’il apporte quelque chose à celui qui ment. On l’émet soit pour obtenir un avantage, soit pour donner une bonne image de soi, soit pour éviter une punition”, détaille Claudine Biland, docteure en psychologie, mention psychologie sociale et autrice du livre Psychologie du menteur.
En l’espèce, il s’agissait clairement pour toi de gagner ta place dans l’équipe. Tu pourrais avancer que tu n’as pas menti, t’étant contenté de te taire. Objection rejetée ! Un mensonge par omission reste… un mensonge, selon la définition de la spécialiste : “Quand on sait quelle est la vérité quant à un fait qui s’est déroulé, à une opinion qui n’est pas la nôtre, ou à une émotion que l’on ne ressent pas, et que l’on choisit de l’ignorer ou d’affirmer sciemment le contraire, on ment”, juge-t-elle. Mais la sentence sera clémente : ton mensonge, même s’il aurait pu avoir de fâcheuses conséquences, reste relativement anodin. Certains le sont moins.
Le mensonge valorisant
- Le mensonge de Chiara, 20 ans : “Ma pote et moi sommes hyperfans d’Orelsan mais elle n’a pas pu m’accompagner à son concert… Je lui ai raconté que j’avais pu lui parler quelques minutes dans sa loge, grâce à ma marraine qui est journaliste et qui m’a offert un portrait dédicacé. Elle a eu un peu de mal à me croire – je suis très timide – mais grâce à la photo, elle a été convaincue !”
On s’est tous une fois ou l’autre rêvé plus intelligent, plus beau, plus sportif, plus riche… Pas étonnant donc qu’enjoliver la réalité pour se valoriser représente une tentation irrésistible. Tu y as cédé en vendant à ta copine une rencontre imaginaire avec votre idole, “preuve à l’appui”. Ce que tu en as tiré ? Son admiration pour ton courage d’avoir osé aborder la star (teinté d’une pointe de jalousie), ainsi qu’une cote de popularité au sommet : tu es désormais LA fille qui connaît Orelsan.
Et que ceux qui n’ont jamais menti pour se faire mousser te jettent le premier autographe. Car il s’agit là de la troisième motivation au mensonge dit égoïste. Pas de quoi te valoir une leçon de morale, ni (trop) de mauvaise conscience. On pourrait néanmoins te conseiller de faire confiance à tes amis pour t’aimer telle que tu es… sans en rajouter.
Sans compter que ce mensonge a dû te coûter quelques sueurs froides, au vu de ton tempérament réservé. En effet, selon Claudine Biland : “Les personnes introverties se risquent moins à mentir que les autres. Elles pensent qu’elles se feront tout de suite démasquer parce qu’elles ont tendance à baisser la tête, à rougir, etc.” Autant de signes que la plupart des gens attribuent, à tort, aux “mythos”. “Ces stéréotypes sont faux : les bons menteurs ne tremblent pas et regardent les gens droit dans les yeux.” Le mensonge est un art délicat, qui se joue des apparences…
La presque vérité
- Le mensonge de Matessa, 19 ans : “Cet été, sur un coup de tête, je suis partie en Belgique rejoindre un garçon que j’avais rencontré dix jours plus tôt en vacances. Je ne voulais pas que ma mère me rabâche que j’étais inconsciente ou m’empêche d’y aller. Alors je lui ai raconté que je passais quelques jours chez une copine en Bretagne. C’est passé crème !”
Mentir pour éviter le conflit, et/ou la punition : un grand classique ! C’est ce que tu as testé avec ton escapade secrète et c’est ce que les Pinocchio en herbe expérimentent dès leur plus jeune âge. À trois ans, ils savent déjà s’arranger avec la vérité et ne cessent de se perfectionner avec le temps : “Dès qu’ils savent faire la différence entre le bien et le mal, les enfants commencent à mentir, mais ils sont maladroits parce qu’ils ont peur des adultes et de la punition s’ils se font prendre, précise Claudine Biland. Mais plus ils vieillissent, plus ils deviennent doués.” Et savent faire preuve d’inventivité… Tu en es la preuve ! Tu as sans doute puisé ton inspiration dans ton désir légitime de t’affranchir de l’autorité de tes parents : “Il faut bien que les jeunes protègent leur jardin secret”, abonde la psychologue.
Il existe une limite, de taille, à l’acceptation de la transgression : le faux témoignage. “C’est le mensonge le plus grave, dans la mesure où il entraîne la condamnation de quelqu’un.” Dans ce cas, ce serait d’accuser un camarade de t’avoir encouragée à partir pour te couvrir, au risque de le voir écoper lui-même d’une punition sévère. Idem quand on ment pour nuire à quelqu’un, en affirmant par exemple qu’il ou elle a triché à un examen. Le mensonge, ça passe, le faux témoignage, ça casse !
Le mensonge qui fait du bien
- Le mensonge de Lou, 17 ans : “Ma copine, qui n’avait pas le moral après sa rupture, a décidé de changer de tête. Elle a choisi une coupe mulet. Je lui ai dit que je trouvais ça fun et original, alors que c’était juste atroce !”
Voilà un bel exemple d’amitié… et de diplomatie. Face à la détresse de ta copine, tu as caché ta véritable opinion pour lui en servir une version très édulcorée. Pas question en effet pour toi de l’enfoncer alors qu’elle essayait de sortir la tête de l’eau trouble des amours contrariées, et du bac, même si c’est celui du coiffeur. L’amitié vaut bien un mensonge, as-tu estimé.
Certains penseraient que tu t’es montrée hypocrite. Ils auraient, en partie, tort. D’abord parce que tu n’as pas totalement travesti la vérité. Après tout, la coupe mulet est un choix audacieux. Ensuite parce que tu as surtout voulu soutenir ton amie, en pointant le côté positif de son choix. Tu n’as pas fait preuve d’hypocrisie, mais d’empathie.
En réalité, ta réaction est typiquement féminine. Malgré les préjugés largement répandus, les filles ne mentent pas plus que les garçons. En revanche, quand elles empruntent cette voie, elles sont souvent motivées par l’envie de faire plaisir à l’autre ou d’éviter de lui faire de la peine. “C’est ce que les Anglo-Saxons appellent un white lies [un mensonge blanc, NDLR], un mensonge altruiste, gentil”, explique Claudine Biland. De pieuses entorses à la vérité en somme, qui représentent environ 25 % des mensonges. “Même si elles ne le pensent pas, les femmes auront tendance à dire à leur amie déprimée qu’elle a bonne mine. Elles font plus souvent ce genre de mensonges que les hommes.” Lesquels sont plus enclins au mensonge égoïste. La conclusion ? Tu mérites une médaille, pas une condamnation…
C’est quoi un “mytho” ?
Si le terme “mytho” est aujourd’hui rentré dans les cours de lycée pour désigner un menteur, il s’agit clairement d’un abus de langage. C’est en effet l’abréviation de mythomane, qui désigne une personne atteinte de mythomanie. Or la mythomanie est une vraie pathologie, qui nécessite une prise en charge psychiatrique. Et si le mythomane ment tout le temps, “la mythomanie n’est pas une maladie du mensonge mais de l’estime de soi, explique Claudine Biland. Le mythomane cherche à répondre exagérément à l’image idyllique qu’il pense que les autres ont de lui. Pour y correspondre, il va construire une fiction. Le mensonge est un outil pour arriver à ses fins.”
Cette pathologie doit être prise au sérieux : un mythomane peut recourir à des extrémités dangereuses pour éviter d’être découvert. Ainsi, en 1993, Jean-Claude Romand, qui avait prétendu pendant 18 ans être médecin-chercheur à l’OMS, a-t-il préféré assassiner toute sa famille plutôt qu’elle ne découvre la vérité à son sujet…