C’est quoi, être un garçon ? Il y a trois décennies, c’était simple de répondre à cette question. Mais aujourd’hui, à l’heure du mouvement #MeToo, de l’expansion des réseaux sociaux, des remises en question des identités féminines et masculines, comment les adolescents nés au début des années 2010 parlent-ils de ce qu’ils sont ? Okapi, le magazine Bayard Jeunesse des 10-15 ans, a mené l’enquête… À lire dans le numéro du 1er mars ou à télécharger, n’hésitez pas à la partager.
Surmontée de l’illustration joyeuse de trois gaillards hilares jouant à prendre la pose, la question “C’est quoi, être un garçon ?” barre la couverture du nouveau numéro d’Okapi (n°1195, 1er mars). À l’approche de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, il nous a paru important de prendre la question à bras-le-corps, et d’interroger les premiers intéressés : les adolescents.
Quelle perception d’eux-mêmes ont les garçons nés au début des années 2010 ? Comment parlent-ils de ce qu’ils sont, alors que leurs premières années de vie et d’ouverture au monde se sont passées à l’heure de l’explosion du mouvement #MeToo, de l’expansion des réseaux sociaux, des remises en question des identités féminines et masculines… Autant de sujets qui se diffusent au sein de cette génération, et dont on peut se parler entre copains, dans la cour de récré.
Cette enquête met en exergue des réponses contrastées. Tout en affichant encore une préférence pour des codes clairement identifiés comme masculins – la pratique de la musculation, en plein boum chez les plus grands et qui se répand aussi chez les plus jeunes ; le fait d’exister dans une bande sans les filles, signe que l’ouverture affichée ne va pas de soi –, les nouveaux ados apparaissent, au moins en paroles, très ouverts aux questions de leur époque. Ils sont plus sensibles aux enjeux du féminisme, qu’ils reprennent à leur compte tout en appelant à la vigilance contre les clichés qui les visent, eux, en retour. Ils revendiquent le besoin d’être informés sur leur puberté, ou le droit de pleurer sans que cela soit une faiblesse…
Dans le même numéro, Okapi interroge aussi, de fait, nos propres stéréotypes d’adultes, toujours ancrés. En donnant la parole à celles et ceux qui pratiquent un métier “de l’autre sexe” : Myriam est soudeuse, Kévin esthéticien, Amélie camionneuse, Lucas sage-femme, Lionel costumier, etc. Nous sommes allés à leur rencontre et leur avons demandé pourquoi ils ou elles ont fait ce choix, comment celui-ci est assumé face aux regards des autres… Histoire de commencer à changer les regards.
D’autres rubriques explorent encore ces questions du masculin et du féminin : un test pour évaluer son degré de féminisme, des pages culture qui explorent, de David Bowie à Timothée Chalamet, comment nos stars n’ont cessé de chahuter les codes. Enfin, à l’heure du triomphe de Barbie, notre rubrique “On se dit tout” donne la parole aux adolescentes. Toutes déplorent toujours le fait de subir le poids des apparences, bien plus que les garçons.
Bref, un numéro aux allures d’enquête géante, qui offre autant de portes d’entrée pour des échanges en famille pour aider les adolescent(e)s à grandir.
Jean-Yves Dana, rédacteur en chef du magazine Okapi.
Les machos, ça n’existe plus ?
Ils et elles en pensent…
- “Je suis d’accord avec les mouvements féministes, l’égalité hommes-femmes… mais parfois, on en fait trop. Souvent, on protège plus les filles que les garçons. Et ça jette de la méfiance sur les garçons. On se dit que tous les garçons sont pareils et pas forcément avec de bonnes intentions. Quand je rencontre une fille, je vois bien que d’emblée, elle se méfie. Elle est sur ses gardes parce qu’on n’arrête pas de lui dire que les garçons sont mauvais. Et du coup, les garçons deviennent un peu machos en réaction. Et se moquent de ces revendications.” Anonyme, 14 ans
- “C’est vrai qu’on entend parler de tellement de choses reloues sur le harcèlement sexuel, par exemple, qu’on fait attention quand un garçon nous aborde.” Anonyme (fille), 14 ans
L’avis d’Okapi
Une nouvelle forme de relations entre les gars et les filles est en train de se mettre en place… fortement influencée par tous les problèmes de violences sexuelles et conjugales dont vous entendez parler, dans les médias et sur les RS. Par exemple, les rapports amoureux : quand un garçon drague une fille, ça peut vite devenir quelque chose de lourd, d’insistant, voire d’agressif. De fait, ce n’est pas évident pour les garçons de savoir comment se comporter par rapport à tous ces phénomènes. Si ce n’est en ayant un regard encore plus critique sur l’absence d’égalité entre filles et garçons, en réalisant que le harcèlement sexuel n’est pas un sujet de rigolade, en respectant les filles, etc.
Être un garçon et porter du rose ?
Ils et elles en pensent…
- “C’est un cliché de dire que le rose, c’est pour les filles. Moi, je n’ai pas de vêtements roses, mais j’ai des amis qui en ont et personne ne se moque d’eux. Et il y a aussi de plus en plus de garçons autour de moi qui portent des bijoux, comme des bracelets, mais aussi des bagues ou des colliers.” Timothée, 14 ans
- “J’ai piqué un pull rose à mon frère et je l’adore. Les couleurs n’ont pas de sexe.” Titouan, 13 ans
- “Les garçons peuvent aussi se maquiller ou porter des bijoux, comme Harry Styles ou Timothée Chalamet.” Alma, 14 ans
L’avis d’Okapi
Alma a raison de citer Timothée Chalamet ou Harry Styles, qui transgressent les normes vestimentaires et rebattent les codes masculins-féminins, en arborant des colliers de perles, du vernis à ongles et des vêtements roses ou violets… Pour autant, même si les garçons aiment aussi ces artistes, ils ne sont pas toujours prêts à revêtir les mêmes tenues, et le rose, chez eux, reste largement l’exception. Tout au plus, comme Titouan, ils concèdent avoir un pull rose dans leur placard.
Pourtant, les codes couleurs des vêtements ne sont pas figés dans le marbre : longtemps, le bleu a été la couleur réservée aux femmes, en référence à la Vierge Marie. Et le rouge, symbole de pouvoir, l’autorité et de guerre… était la couleur des hommes.
Être musclé, est-ce indispensable ?
Ils et elles en pensent…
- “Sur les réseaux sociaux, on voit beaucoup de garçons qui exhibent leurs muscles et proposent des exercices pour y arriver, comme le youtubeur Tibo InShape. Quand j’aurai l’âge, j’irai dans une salle de sport parce que c’est stylé d’être musclé. Ça donne du charisme ! En plus, c’est pas compliqué : il suffit de s’entraîner.” Anonyme, 14 ans
- “À notre âge, je crois que ça ralentit la croissance. Et on peut être un garçon sans avoir de gros muscles.” Eldar, 13 ans
L’avis d’Okapi
De plus en plus d’ados de plus de 16 ans fréquentent les salles de muscu ces derniers mois. Par pur plaisir ou pour se dire “je suis un garçon” ? La question se pose aussi au collège. Pour certains, avoir des biscotos et des tablettes de chocolat reste le vrai marqueur de leur virilité. Il n’y a qu’à voir le succès des hashtag #abs et #six-pack (abdos) sur Instagram et TikTok… Mais le sujet vous divise et, comme Eldar, vous êtes nombreux à penser que l’on peut aussi se sentir garçon simplement en étant soi-même. Il n’y a pas qu’un seul modèle de garçon et on peut être stylé même en étant filiforme, en développant d’autres talents.
Par ailleurs, la musculation, si on la pratique avec modération, n’est pas contre-indiquée pour les ados, elle favorise même la croissance osseuse et renforce le système cardiovasculaire. Le risque, ce sont les dérives : entraînements excessifs avec prise de produits pouvant entraîner des pathologies. Pour éviter cela, des clubs d’haltérophilie et de musculation ont ouvert des sections pour les 12-16 ans, encadrées par des éducateurs sportifs diplômés.
Rester entre garçons, c’est mieux ?
Ils et elles en pensent…
- “Dans mon groupe, il n’y a pas de filles : on est six garçons. Ce qui nous rapproche, c’est le fait d’être dans la même classe, d’avoir les mêmes goûts comme faire du foot ou jouer à Fortnite. Le midi, on déjeune ensemble, on se chambre, on rigole, on se sent plus forts… C’est important de faire partie d’un groupe, de ne pas être seul. S’il m’arrivait quelque chose au collège ou avec mes parents, c’est à mes amis que j’irais en parler spontanément.” Alois, 14 ans
- “Les garçons peuvent aussi avoir des amies filles. J’ai moi-même un très bon copain.” Maëlle, 14 ans
- “Dans mon groupe d’amis, il y a une fille. C’est mon amie car on était en primaire ensemble.” Ambroise, 14 ans
L’avis d’Okapi
À la récré, les garçons aiment généralement rester entre eux, à squatter toute la place pour jouer au foot. C’est souvent inconscient… mais ils se mélangent rarement aux filles. Normal, car c’est un âge où les ados se construisent, et c’est plus en allant vers leurs pairs que les garçons pensent y arriver. En adoptant le même comportement que leurs potes, pour faire partie du groupe. Mais c’est pareil pour les filles ! Pourtant, certains garçons disent avoir des amies filles et avoir l’impression de ne pas faire de différence… Une impression, car “on ne parle quand même pas jeux vidéo ou foot avec elles”… Pourtant, les amitiés avec des filles, quand on est un garçon, renforcent la confiance, boostent l’estime de soi… bref, c’est enrichissant !
Un garçon, ça ne pleure pas ?
Ils et elles en pensent…
- “Je suis hyper sensible mais j’arrive à me contrôler pour ne pas le montrer, par exemple à mes copains. Ce n’est pas parce que je suis un garçon : nous aussi, on a le droit de pleurer. Ni parce que j’ai peur qu’on se moque de moi… c’est que cela me gêne. Mais ça m’arrive de me mettre à pleurer, par exemple quand je dois me séparer de mes parents ou quand je suis stressé par les cours ou par une évaluation.” Timothée, 14 ans
- “Ça m’arrive souvent de pleurer, par exemple si je regarde un film triste.” Yani, 11 ans
- “J’ai un copain qui pleure souvent, pour des mauvaises notes ou une remarque pas sympa. Mais personne ne se moque de lui.” Héloïse, 13 ans
L’avis d’Okapi
Depuis des siècles, les garçons et les hommes ont appris à taire leurs émotions pour correspondre à un modèle social bien en place, et pour se distinguer des femmes, considérées à l’inverse comme des êtres sensibles. Ils pouvaient exprimer leur colère, mais pas leur chagrin, leur tristesse. Changer des codes aussi anciens ne se fait sans doute pas d’un coup de baguette magique, mais l’on voit tout de même que les choses évoluent, et c’est tant mieux car laisser parler ces émotions, ça fait du bien. Et vous êtes de plus en plus à assumer votre sensibilité.
La puberté des garçons, on en parle ?
Ils et elles en pensent…
- “Sur les réseaux sociaux ou au collège, on parle plus des problèmes des filles que de ceux des garçons. Par exemple en SVT, on ne parle pas de la voix des garçons qui mue, mais on parle des règles chez les filles.” Anonyme, 14 ans
- “C’est vrai que l’on parle beaucoup plus librement des changements chez les filles à la puberté. Il y a plein de comptes sur les RS ou de bouquins qui parlent des règles, par exemple.” Alma, 14 ans
L’avis d’Okapi
Les garçons ont toujours des difficultés à parler de leur corps qui change à la puberté, mais là aussi, les choses changent puisque vous revendiquez désormais que l’on parle aussi de vous en classe ou ailleurs… À Okapi, on a bien entendu ! Mais il est vrai que sur ce plan, la différence avec les filles est notable. En comparaison, les filles, lorsqu’elles ont leurs règles, en parlent à leur mère ou à une amie, ne serait-ce que pour avoir des infos sur les protections hygiéniques à adopter et les éventuelles douleurs que cela peut occasionner. C’est pour elles une sorte de rite de passage vers l’âge adulte, qui n’a pas vraiment d’équivalent chez les garçons.
Les tâches ménagères, pour tout le monde ?
Ils et elles en pensent…
- “À la maison, je débarrasse la table et je fais même mon lit. C’est normal de participer. Et mes parents se répartissent les tâches. Mon père débarrasse aussi la table, fait les courses et s’occupe de mon petit frère et de moi. Et ça ne me choque pas. C’est même un exemple pour moi. Je ferai pareil plus tard.” Yani, 11 ans
- “Ma mère me demande de mettre la table, de faire le ménage, de préparer des trucs à manger… Je râle, mais je trouve ça normal.” Élio, 14 ans
L’avis d’Okapi
Bonne nouvelle : la plupart des garçons interrogés trouvent désormais normal de participer aux tâches ménagères, même s’ils ne trouvent pas ça très fun (mais les filles non plus !). Pourtant, tous n’ont pas l’exemple d’un père qui participe à la maison, comme Yani. Si on en croit les chiffres de l’Observatoire des inégalités, les femmes consacrent en moyenne, chaque jour, 3h aux tâches domestiques, quand les hommes y consacrent 1h45. Les mères, 1h35 aux tâches parentales (rendez-vous chez le médecin ou au collège…), les pères, 41 minutes. Bref, depuis 2010, la situation ne s’améliore que très lentement, même si le discours évolue… À votre génération de reprendre le flambeau et d’aller vers plus d’égalité lorsque vous serez adultes !
Être un garçon féministe, c’est possible ?
Ils et elles en pensent…
- “Je trouve absurdes les inégalités entre les filles et les garçons. C’est normal que les filles aient les mêmes droits que nous, par exemple qu’elles puissent s’habiller comme elles le souhaitent, et demandent à avoir la même liberté que les garçons. Et je m’énerve quand j’entends des potes qui tiennent des paroles sexistes (souvent vulgaires) envers les filles.” Julien, 13 ans
- “Je trouve aberrantes les inégalités entre les femmes et les hommes dans le travail. Je suis certainement aussi influencé par ma mère, qui m’en parle beaucoup.” Titouan, 13 ans
L’avis d’Okapi
Les garçons sont conscients qu’il y a encore pas mal d’inégalités entre les filles et eux, et que ce n’est pas normal. Pour autant, est-ce qu’ils essaient d’y mettre fin ? Sans aller jusqu’à manifester ou militer dans des associations, ils sont encore rares, quand des copains parlent mal des filles, à ne pas participer ou à avoir le courage de leur dire qu’ils ne sont pas d’accord. Pourtant, c’est une bonne façon de faire entendre une voix différente, de se sentir plus libre. Comme le fait de proposer plus souvent des activités mixtes, d’inviter les filles à jouer au foot avec eux ou simplement d’aller discuter avec elles.
Être attiré par un autre garçon, c’est la honte ?
Ils et elles en pensent…
- “Ça ne me choque pas, même si je n’en connais pas beaucoup. Il n’y en a pas dans mon groupe d’amis. Ou alors, ils ne le disent pas, parce que ce serait un sujet de moquerie. Quand on est différent, on se fait moquer…” Élio, 14 ans
- “On ne doit pas être jugé sur son orientation sexuelle. Cela ne regarde que soi et personne d’autre. Un de mes amis s’est fait harceler à cause de ça.” Maëlle, 14 ans
L’avis d’Okapi
Il peut arriver, à l’adolescence, que l’on se sente attiré(e) par une personne du même sexe, et ça ne veut pas – encore – dire que l’on est homosexuel. Pour connaître son orientation sexuelle, il faut attendre, grandir, avancer un peu dans la vie… Mais le sujet, ici, c’est plus la crainte de la réaction de l’autre, ou sa propre réaction en apprenant qu’un copain est attiré par un autre garçon, que l’orientation sexuelle elle-même…
Les garçons ne devraient pas se sentir honteux ou culpabilisés de ne pas être comme les autres. Or cela reste très souvent compliqué d’en parler à ses copains, parce que l’homosexualité, supposée ou réelle, demeure un sujet de moqueries, voire d’insultes. Il y a encore beaucoup à faire sur ce plan-là…
Merci à Serge Hefez, psychiatre (auteur de C’est quoi la différence entre genre et sexe, avec Odile Amblard, éd. Bayard jeunesse) ; Guilhem de Gevigney, thérapeute de la parole et de la relation ; Dr Kpote, animateur de prévention sur la sexualité et les conduites addictives auprès d’ados ; Laurent Metterie, réalisateur du documentaire Les Petits mâles en 2023. Et merci aussi à tous les ados qui ont pris part à l’enquête.
Podcast Ma vie d’ado : Qu’est-ce que c’est un vrai gars, une vraie fille ? Les ados racontent
C’est quoi un vrai mec ? Une vraie nana ? Ah bon, un vrai gars a de gros muscles ? Et une vraie fille, c’est celle qui est toujours en train de se maquiller ? Dans cet épisode du podcast Ma vie d’ado, les collégiens font tomber les clichés !
Pour découvrir d’autres témoignages d’adolescent(e)s, nous vous proposons d’écouter aussi cette sélection d’épisodes sur le thème “Fille, garçons… tous égaux (ou presque !)”
Plus de 150 épisodes sont actuellement disponibles sur le site d’Okapi et sur toutes les plateformes d’écoute.