À l’approche du 5 novembre, les yeux du monde sont tournés vers les États-Unis. La première puissance mondiale sera-t-elle à l’issue du scrutin dirigée pour la première fois par une femme ? Ou le peuple américain signera-t-il à nouveau pour quatre ans avec son milliardaire mégalomaniaque ? La démocratie, l’économie, la sécurité et l’avenir climatique des USA sont au cœur du duel Kamala Harris/Donald Trump. Pour comprendre tous les enjeux de cette élection, le magazine Phosphore a décrypté avec des experts les oppositions entre les deux candidats.
L’économie et le pouvoir d’achat
✮ Pourquoi c’est crucial
« Parce que ce sont les premières préoccupations des Américains, et ce qui les motive le plus à aller voter », explique Jean-Eric Branaa, politologue spécialiste des États-Unis.
✮ Le bilan de Trump (2017-2021)
« Jusqu’à la pandémie de Covid, son bilan économique était plutôt positif, avec un faible taux de chômage, en particulier pour les minorités, une augmentation des salaires et des baisses d’impôts », résume Nicole Bacharan, historienne spécialiste de la société américaine. S’il est élu, le candidat républicain promet d’encore réduire les impôts, notamment pour les grosses entreprises, et de soutenir les producteurs de pétrole, gaz et charbon pour, selon lui, « offrir aux Américains l’énergie et l’électricité les moins chères du monde ».
✮ Le bilan des démocrates (2021 à aujourd’hui)
« Le bilan de Biden est aussi bon, voire encore meilleur que celui de Trump, analyse Nicole Bacharan. Mais ce n’est pas perçu ainsi dans l’opinion à cause de l’inflation (hausse des prix). Même si celle-ci ralentit, cela prend du temps pour voir les répercussions sur le coût des aliments et de l’essence, et c’est ce qui compte pour les électeurs… » Pour montrer sa volonté d’agir sur le quotidien des Américains, Kamala Harris veut instaurer un crédit d’impôts de 6 000 $ pour les jeunes parents et une subvention de 25 000 $ pour aider les ménages les plus modestes à acheter leur première maison. Pour financer ces mesures, elle prévoit d’augmenter les impôts des entreprises et des plus riches.
L’immigration
✮ Pourquoi c’est l’un des sujets les plus brûlants
Parce que la situation s’est aggravée à la frontière sud des États-Unis. En 2023, 10 000 migrants ont en moyenne tenté chaque jour de la franchir. Un record. « Les États, les autorités et la justice n’arrivent plus à absorber cette immigration, le système est débordé », pointe Jason Opal, professeur d’histoire à l’Université McGill (Canada).
✮ Ce qu’en pensent les candidats
Le projet de Trump : prolonger le mur à la frontière mexicaine, construire plus de centres de rétention et expulser 15 à 20 millions de sans-papiers. « De son côté, Kamala Harris est vulnérable sur ce dossier puisque les deux tiers des Américains reprochent aux démocrates d’avoir encouragé puis ignoré la crise migratoire historique jusqu’à cette année électorale », souligne Marie-Christine Bonzom, politologue, journaliste et spécialiste des États-Unis. Quand elle a été investie par le parti, Kamala Harris a fait savoir qu’elle ne s’opposait plus à la construction du mur alors qu’elle avait toujours été contre. « C’est un revirement complet, ajoute Marie-Christine Bonzom. Sa volte-face ne plaît pas à beaucoup de monde dans le camp démocrate, mais la candidate compte sur la capacité des électeurs à accepter des compromis pour éviter l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. De toute façon, ils n’ont pas vraiment d’autres choix. Les Républicains et les Démocrates ont tout fait pour empêcher l’émergence d’autres partis. Tout est fait pour pérenniser ce duel entre républicains et démocrates. »
La démocratie
✮ Pourquoi cet enjeu monte
Donald Trump n’a jamais accepté sa défaite face à Joe Biden. Le 6 janvier 2021, des centaines de ses partisans ont envahi le Capitole (le siège du pouvoir législatif américain) après un discours de Trump, répétant que la victoire lui avait été volée. Cet assaut a fait 7 morts.
✮ L’objectif de Donald Trump
« Il compte se venger de tous ceux qui ne l’ont pas soutenu en 2020, en ordonnant des licenciements massifs au niveau de la justice, des services secrets…, décrypte Nicole Bacharan. Il veut aussi que le ministre de la Justice mène des enquêtes contre ses ennemis politiques, et gracier les émeutiers du Capitole. C’est une remise en cause fondamentale de l’État de droit. »
✮ Et Kamala Harris
Elle défend aussi la démocratie mais ne joue pas sur la peur que pourrait susciter une victoire de son adversaire. « Au lieu d’attaquer Trump, ce qui a plutôt conduit à le renforcer dans le passé, elle choisit de l’ignorer, de ne pas répondre à ses invectives, analyse Nicole Bacharan. Et ça, ça le déstabilise. » « De toute façon, le personnage de Trump ne fait plus vraiment peur, ajoute Jean-Eric Branaa. La plupart des Américains se disent qu’il a déjà fait un mandat et que le monde ne s’est pas écroulé pour autant. »
Le profil des candidats
✮ Donald Trump, le senior
À 78 ans, Donald Trump est le candidat le plus vieux de l’histoire des élections américaines. Lui qui utilisait régulièrement l’âge pour décrédibiliser la candidature du président Biden pourrait bien voir cet argument se retourner contre lui.
✮ Kamala Harris, la multiculturelle
Sa mère est d’origine indienne et son père est né en Jamaïque. « Depuis 2020, les Américains ont intégré qu’ils pouvaient être dirigés par une femme noire, souligne Jean-Éric Branaa. Le vice-président, c’est celui qui remplace le président au moindre souci. Kamala Harris était à un battement de cœur du pouvoir. D’ailleurs, elle a déjà été aux manettes en novembre 2021, quand Joe Biden a été sous anesthésie générale pendant 1 h 30. »
L’avortement
✮ Pourquoi c’est un sujet important
Ce droit a été remis en cause le 24 juin 2022, date à laquelle la Cour suprême (la plus haute institution judiciaire américaine) a autorisé les États qui le souhaitent à interdire l’IVG. Ce droit était pourtant garanti à toutes les Américaines depuis l’arrêt Roe v. Wade de 1973, mais Trump l’a remis en cause en nommant à la Cour suprême trois membres opposés à l’IVG.
✮ Comment se positionnent les candidats
L’avortement divise depuis longtemps les élus démocrates, qui y sont favorables, et les républicains, qui s’y opposent. « Mais face aux inégalités que cela crée pour les femmes, c’est devenu un désavantage pour le camp républicain, analyse Nicole Bacharan. C’est pourquoi Trump évite désormais ce sujet. » D’autant qu’en 2020, 43 % des électeurs de Trump étaient des femmes. De son côté, Kamala Harris a entamé une tournée des États-Unis pour défendre le droit à l’avortement dès janvier 2024, avant même d’être candidate.
La politique étrangère
✮ Pourquoi ça compte
Parce que l’état du monde a changé, depuis l’invasion de la Russie en Ukraine le 24 février 2022 et l’attaque du mouvement terroriste palestinien Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. « Mais ce n’est pas le sujet principal, car les électeurs américains s’intéressent assez peu à ces guerres. Ils veulent avant tout que l’État s’occupe d’eux », indique Jean-Éric Branaa.
✮ Ce que propose chacun
Donald Trump soutient Israël face à la Palestine, tout comme Kamala Harris. Mais pour elle, le sujet est plus épineux. « Le sujet de Gaza fracture le parti démocrate, analyse Marie-Christine Bonzom. Dans quelle mesure un électeur jeune ou arabo-musulman pourra-t-il voter pour Harris après avoir dénoncé la politique de “Joe le génocidaire” et “Kamala la tueuse” comme il les surnomme ? » Les deux candidats se rejoignent aussi sur le concept d’« America First » (faire passer les intérêts américains en premier, notamment au niveau économique). « Mais Kamala Harris le fait de façon internationaliste, en respectant les alliances avec l’Otan*, l’Union européenne et en soutenant l’Ukraine face à la Russie parce qu’elle est convaincue qu’il est aussi dans l’intérêt des États-Unis de défendre la démocratie », explique Nicole Bacharan. Donald Trump, de son côté, défend une politique isolationniste : « Il veut faire du pays une forteresse surarmée, en pensant que personne n’osera s’y attaquer et que les autres n’auront qu’à se débrouiller. Et il est prêt à “donner” l’Ukraine à la Russie. »
* L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord est une alliance qui lie 32 états, dont les États-Unis, le Canada et une partie de l’Europe.
Le climat
✮ Ce que proposent les candidats
Pendant leur mandat, Joe Biden et Kamala Harris ont annulé les décisions anti-environnementales prises par Donald Trump, en réintégrant les États-Unis dans l’accord de Paris, qui engage les pays à réduire leurs émissions de CO2. « Kamala Harris s’intéresse à l’environnement depuis longtemps, raconte Jean-Éric Branaa. Lorsqu’elle était procureure à San Francisco, elle s’attaquait aux décharges sauvages à un moment où cela n’intéressait personne. » A contrario, Donald Trump, climato-sceptique, veut stopper les projets et réglementations liés à l’écologie : les subventions aux énergies renouvelables et aux véhicules électriques, qui nuisent selon lui aux entreprises.
✮ Pourquoi ça compte moins
« C’était un sujet important en 2020, qui a convaincu de nombreux électeurs de voter pour les démocrates. C’est moins le cas aujourd’hui, relève Jean-Éric Branaa, notamment pour les jeunes qui en attendaient davantage. Ils voient aussi que l’élection s’annonce si serrée que Kamala Harris est prête à retourner sa veste en renonçant à interdire la fracturation hydraulique dans des États clés pour le scrutin comme la Pennsylvanie, qui utilise cette technique pour extraire de l’énergie. »
Un scénario inédit
✮ Trump, des procès et une tentative d’assassinat
Fin mai, le candidat républicain a été déclaré coupable d’avoir falsifié des documents pour dissimuler le paiement de 130 000 $ à une actrice de films porno, avant l’élection de 2016. Il est le premier président américain à être ainsi condamné dans une affaire pénale. Donald Trump doit aussi être jugé pour l’attaque sur le Capitole, mais ce procès n’aura pas lieu avant le scrutin. Et ces dossiers ont été un peu éclipsés par les tentatives d’assassinat dont il a été victime, notamment celle du 13 juillet dernier. Même si le candidat a annoncé qu’il ne souhaitait plus parler de ce meeting durant lequel il a été blessé, sa photo quittant la scène, oreille en sang, poing levé, est utilisée dans sa campagne. « C’est une façon pour lui de se présenter comme quelqu’un qui s’impose par la force. »
✮ Kamala Harris, la remplaçante
La vice-présidente s’est lancée dans la course à la Maison-Blanche à moins de quatre mois du scrutin, quand Joe Biden a renoncé à se présenter à l’élection après des semaines de doutes sur sa capacité à gouverner, à 82 ans. « La grande ambiguïté de Kamala Harris, c’est qu’elle se veut la candidate du changement alors qu’elle est au pouvoir avec Biden depuis 2021, souligne Marie-Christine Bonzom. Nombre d’Américains lui reprochent de ne pas avoir mis en place tout ce qu’elle leur promet maintenant. »