Être parent, surtout de bébés et de jeunes enfants, s’accompagne d’une fatigue difficilement contournable. Mais selon les situations familiales et les tempéraments, celle-ci peut mener au burn-out parental. Le magazine Pomme d’Api a recueilli le témoignage d’une maman et les conseils de spécialistes pour se protéger de cet épuisement physique et psychique.
Parents épuisés : une maman raconte…
« C’est fou comme on arrive à anticiper les choses pour les autres, mais pour soi, pas du tout. Ça a été progressif. Au début, on se dit que ça va aller. J’allaitais ma fille, nouveau-née. Mon fils avait 4 ans, et il était toujours “à 200 à l’heure”, il partait dans tous les sens, mais il était aussi très sensible. J’étais totalement épuisée, mais je relativisais : “C’est pas si grave.” Je me faisais passer après tout le monde, jusqu’à m’oublier. J’avais l’impression de répondre aux attentes des autres, de ne pas en faire assez. Mon mari m’accusait de perfectionnisme et me reprochait ce qui n’allait pas pour lui, si bien que je me suis fermée à la confidence.
Je me suis laissé envahir. Une sorte de grignotage familial au sein de notre cellule de quatre personnes, mais aussi plus largement : je ne me suis pas tournée vers mes parents, par exemple, parce qu’ils étaient déjà accaparés par leurs autres petits-enfants. Je me disais : “Je ne vais pas embêter les autres avec mes petits problèmes.” »
“Je ressentais un profond sentiment d’inutilité, familiale, sociale, professionnelle”
« Pour donner un cadre de vie correspondant aux besoins de notre fils, nous avions quitté le centre-ville où nous habitions un appartement pour nous installer en rase campagne : il pouvait se défouler, courir, crier dehors. En plus, pour accueillir le bébé à venir, j’avais renoncé à ma vie de commerçante, où je voyais beaucoup de monde. Certes, il y avait les sorties d’école, l’association de parents d’élèves, mais j’ai vécu cette “descente” assez seule, avec peu de possibilités d’échanges. En fait, je me suis beaucoup isolée. En plus, mon mari prenait pas mal de choses en main : les courses, accompagner notre fils à l’école en partant au travail… Me restait tout ce qui concernait l’intérieur de la maison : je n’avais plus de raisons de sortir.
J’ai alors complètement “décollé” : j’ai beaucoup maigri, j’ai perdu ma vivacité d’esprit et ma confiance en moi, je ne “percutais” plus, j’étais passive, sans la force physique et psychique de me reprendre en main, et je me reprochais tout ce que je n’arrivais pas à faire. Un lavage de cerveau, un épuisement à petit feu. Je faisais les choses, les repas, le rangement, le ménage, mais j’avais perdu le déclic du plaisir et de la créativité : il fallait le faire, c’est tout. Je suis allée jusqu’à imaginer que mon mari et mes enfants s’en sortiraient aussi bien si je n’étais plus là. Je ressentais un profond sentiment d’inutilité, familiale, sociale, professionnelle. »
“J’ai mis deux ans à prendre conscience que ça n’allait pas”
« Une seule chose ne m’a jamais quittée : le sentiment de la responsabilité éducative, tout ce qu’il y avait à offrir à cette nouvelle génération, l’écouter dans son évolution. Je m’étais beaucoup documentée. Dès l’arrivée de notre aîné, nous avions opté pour une éducation guidée par l’enfant. Ma charge mentale, elle était là. Ça m’empêchait de dormir. Jusqu’à ce qu’un organe lâche : la thyroïde. L’organe qui gère certaines hormones et participe à la régulation des humeurs. Je passais de phases suractives à des phases sans énergie, avec des répercussions émotionnelles très fortes. Je crois que j’ai mis deux ans à prendre conscience que ça n’allait pas. »
“J’ai décidé de me faire aider”
« Quand je me suis rendu compte que je n’arrivais plus à poser un cadre à mon fils, qui était dans l’opposition permanente, que je ne me levais pas toujours le matin, que je ne gardais pas mon calme si facilement, quand j’ai eu peur de ce que je vivais et de m’enliser dans cette fonction de mère au foyer, j’ai décidé de tout faire pour m’en sortir. De me faire aider. Tout d’abord par une prise en charge médicale pour la régulation thyroïdienne, et aussi par un accompagnement de développement personnel et psychologique.
Cela m’a poussée à réfléchir à ce qui me tenait à cœur. Je me suis souvenue des aspirations que j’avais à 18-19 ans, quand je voulais être kiné pour m’occuper des autres. J’ai décidé de revenir à mes premières amours : accompagner les autres en devenant naturopathe. J’ai repris des études. Ma formation, le groupe, les profs, tout cela m’a ressourcée : j’étais de nouveau en lien avec d’autres, dans un cadre bienveillant. Je me suis aussi inscrite à une chorale, une fois par semaine. Alors que j’étais en train de remonter la pente, j’ai vu passer ce terme, “burn-out parental”, et je me suis reconnue dans la description qui en était faite. »
“J’ai cessé de m’adapter tout le temps”
« Aujourd’hui, je sais reconnaître les signaux d’alerte : si je sens que je dérape, que je retombe dans les reproches, je me dis “Halte ! Depuis quand n’as-tu pas discuté avec quelqu’un, n’as-tu pas pris du temps pour toi ?” Je m’efforce aussi d’être attentive à ce qui se passe à l’intérieur de moi. Par exemple, le cycle féminin n’est pas à négliger. Il influence notre énergie, nos émotions. J’essaie de répondre à ces ressentis par de l’indulgence et de la douceur pour moi-même. J’ai aussi cessé de m’adapter tout le temps et j’ai pu sortir du mutisme et de la confrontation, en développant davantage mon point de vue, quelle que soit la façon dont il est accueilli.
Mon burn-out parental est une phase de vie encore très prégnante : quand on a sombré comme ça, on craint que ça ne se reproduise. Mais les enfants grandissent et mes projets se concrétisent. C’est une grande victoire pour moi de parler librement de cette période. »
Burn-out parental : reconnaître les signes avant-coureurs
Avec Élise Lecornet, psychologue
• Si, à la maison, vous faites les choses en pilote automatique, comme un robot, sans émotion ni plaisir…
• Si vous cherchez à réussir sur tous les fronts : alimentation, ménage, rangement, scolarité, profession, loisirs…
• Si vous redoutez de rentrer chez vous après le travail ou appréhendez les week-ends…
• S’il y a des instants, même fugitifs, où vous ne vous reconnaissez plus (un mot de trop, un geste de trop)…
• Si vous ne parvenez plus à vous ressourcer et/ou si vous rencontrez des difficultés de sommeil…
• Si au retour des vacances, la fatigue vous retombe dessus sans attendre…
• Si vous vous répétez “Ça va passer”, “C’est pas grave”, “Y a pas le choix”… alors faites preuve de vigilance !
Ces états sont identifiés comme des symptômes possibles d’un épuisement parental. Que vous en éprouviez un ou plusieurs, n’attendez plus : parlez-en à quelqu’un (médecin, ami, proche) en qui vous avez confiance, qui ne va ni vous culpabiliser (“Tu devrais faire ceci…”), ni minimiser (“T’inquiète, ça va passer”).
Épuisement parental : que faire ?
Avec Lucie Morlot, consultante en parentalité.
« Réfléchissez au sens et à la qualité des moments que vous passez avec vos enfants : de quoi garderont-ils un bon souvenir plus tard ? Et vous ? Des parties de cache-cache ensemble ou de la cuisine en bazar ? De la course infernale entre le tennis, l’éveil musical et la séance de cirque, ou des mercredis tranquilles à bricoler ensemble ? Des moments où vous leviez la voix ou de ceux où vous vous amusiez avec eux ? Acceptez l’imperfection !
N’oubliez pas non plus de recharger vos batteries personnelles : nos ressources physiques et émotionnelles sont limitées. Prenez du temps pour vous, pour votre corps, pour votre couple. Si cela vous paraît impossible de vous octroyer une après-midi par mois, commencez par une heure, en la bloquant sur votre agenda. Passez en revue ce qui vous épuise et qui vous prend du temps, et envisagez une organisation nouvelle, avec une répartition des tâches différente. Entourez-vous : baby-sitter, autres parents, grands-parents, nounous… et fréquentez des lieux d’accueil enfants-parents, des réseaux d’écoute, des PMI…
Et bien sûr, impliquez l’autre parent. Quelques ajustements peuvent suffire à changer une dynamique familiale. »
Stop à la charge mentale qui pèse sur les mamans !
Les personnes les plus vulnérables à l’épuisement parental sont perfectionnistes, désireuses de tout contrôler, anxieuses. Elles courent après un idéal de famille parfaite. Les femmes sont la cible privilégiée, non pas en raison de leur sexe, mais parce que dans notre société, ce sont elles qui, le plus souvent encore, prennent en charge les enfants et portent la charge mentale de la famille. “Charge mentale”… Ce terme récent désigne le fait de devoir “penser à”, c’est-à-dire, anticiper, organiser, prendre les rendez-vous, prévoir les courses, gérer les imprévus, etc. Bref, avoir en tête l’interminable “to-do-list” familiale. Or, ce sont encore très largement les femmes qui endossent ce rôle.
Les mères consacrent deux fois et demie plus de temps aux tâches domestiques que les pères (Credoc, 2015). À savoir : 117 minutes quotidiennes en moyenne, contre 46 minutes pour les hommes. Et l’arrivée d’un enfant dans le couple renforce cette tendance. Se tourner vers un psy peut être précieux pour travailler les ressorts profonds d’un tel épuisement. Un (ou une) consultant(e) parental(e) peut également vous donner des pistes pour revisiter la dynamique familiale dans ses détails concrets.
Pour aller plus loin
- Le burn-out parental, 100 questions/réponses d’Élise Lecornet et Corinne Melot, Ellipses. Élise Lecornet, psychologue, et Corinne Melot, sophrologue, répondent à toutes les questions que peuvent se poser les parents.
- Un autre regard (2 tomes) d’Emma, Massot Éditions. La blogueuse Emma a fait le buzz en 2016 avec sa BD sur la charge mentale publiée en ligne : Fallait demander. Retrouvez-la dans l’album Un autre regard. Au printemps dernier, elle s’est penchée en dessins sur la charge mentale des femmes pendant le premier confinement.
- Le numéro vert Allô, parents en crise mis en place par la Fédération Nationale des Écoles des Parents et des Éducateurs (FNEPE) : 0805 382 300.
- Le site de votre Caisse d’Allocations Familiales (CAF) recense les ressources locales.
- Le réseau Les Pâtes au beurre, ce sont 10 lieux qui accueillent les parents.