Les 13-19 ans passent en moyenne 15 heures par semaine sur Internet. Pour les séduire, les marques se tournent aujourd’hui vers les blogueurs, youtubeurs et instagrameurs préférés des ados… Une forme de publicité déguisée ? Le magazine Okapi décrypte le fonctionnement de ces partenariats, parfois très lucratifs et pas toujours perceptibles par les plus jeunes, dans son numéro du 1er janvier…
Influenceur, c’est vraiment un métier ?
Le terme d’influenceur est un mot assez nouveau utilisé pour désigner les blogueurs, youtubeurs, instagrameurs et tous ceux qui s’adressent à d’importantes communautés sur les réseaux sociaux. Fini le temps où ils créaient des contenus seuls dans leur chambre. Aujourd’hui, ces influenceurs sont entourés de professionnels. Grâce à son network (le réseau auquel appartient sa chaîne), Cyprien dispose de studios pour tourner ses vidéos et de commerciaux qui l’aident à financer ses projets. Cette activité lui permet de se verser un salaire et de payer ses collaborateurs ! Évidemment, tous n’ont pas cette chance et c’est difficile de gagner sa vie avec moins de 100 000 abonnés. Les marques de produits s’intéressent de près à ces vedettes et à leurs communautés.
Comment fonctionnent les partenariats avec les marques ?
Parfois, l’influenceur reçoit un produit gratuitement. Il est invité à en parler, mais sans obligation car il n’y a pas de contrat. Il peut aussi partager un lien avec ses abonnés et toucher un pourcentage sur les ventes. Si personne n’achète, il ne gagne rien ! Dans d’autres cas, l’influenceur est payé pour parler d’un produit. La marque demandera à valider ses photos et vidéos (sponsorisées) avant leur mise en ligne. Pas de hasard non plus si l’on retrouve les mêmes formules pour vanter de délicieux bonbons sans gluten et sans matières grasses sur de nombreux posts Instagram. Ces mots-clés ont simplement été envoyés par les vendeurs de sucreries qui ont demandé aux influenceurs de les placer dans leurs publications.
Pourquoi les influenceurs ont-ils autant de succès ?
Il y a encore quelques années, les marques payaient pour des publicités télévisées ou des placements de produits au cinéma. Mais aujourd’hui, les 13-19 ans passent en moyenne 15 heures par semaine sur Internet (étude Junior Connect 2017). Pour les séduire, les marques ont donc approché des youtubeurs et Instagrameurs qui parlent à leur communauté de jeunes abonnés comme à des copains. Cette proximité leur donne envie d’acheter : c’est le marketing de l’influence. Grâce aux calculs informatiques, les marques peuvent aussi trier les influenceurs (et leurs abonnés) par centres d’intérêt : ceux qui aiment les gadgets rigolos comme Pierre Croce, celles qui privilégient les cosmétiques bio comme Enjoy Phoenix…
Les influenceurs ont-ils le droit de tout faire ?
En France, la publicité est encadrée. Il est illégal de promouvoir un produit sans le dire aux consommateurs. Un influenceur qui serait payé pour parler d’une marque “sans en avoir l’air”, risque 300 000 € d’amende et deux ans de prison. Pour l’instant, personne n’a été condamné mais, en 2016, des youtubeurs ont été rappelés à l’ordre pour avoir travaillé, sans le dire, pour une marque de voitures. Les publicités pour le tabac sont interdites aussi. Pourtant, des marques de cigarettes sont en lien avec des influenceurs. Elles profitent du flou qui règne sur les réseaux pour les inviter à des événements qu’elles sponsorisent.
Les influenceurs sont-ils des menteurs ?
Pas tous ! Certains se moquent de l’argent quand d’autres sont prêts à accepter tous les partenariats. Des marques ont même été lancées par des influenceurs. Thibault Kuro (des Marseillais…) a ainsi fondé une ligne de vêtements et une gamme de thés minceur qui ont envahi les réseaux.
Comment savoir si une publication est sponsorisée ?
En 2016, YouTube a ajouté la mention “Inclut une communication commerciale” au début de certaines vidéos. Pour que ce message apparaisse, les influenceurs doivent cocher une case au moment de mettre en ligne leurs vidéos. On peut aussi dérouler la barre d’infos : certaines collaborations y sont annoncées. Et sur Instagram, les hashtags #sponsorisé, #collab ou #ad (pub en anglais) alertent sur la présence d’un partenariat. Et si l’influenceur partage un code promo à son nom, cela signifie souvent qu’il a été rémunéré. Grâce à ce code, la marque pourra savoir combien sa publication rapporte de ventes.
Les influenceurs sont-ils des tricheurs ?
Quelques-uns sont accusés d’acheter des abonnés pour gonfler leur communauté et négocier de meilleurs tarifs avec les marques. Kim Glow, autre “star” de la téléréalité, s’est ainsi attirée la colère des internautes cet été. Une analyse de son compte Instagram a montré que la moitié de son million d’abonnés vivait en Inde. Or, l’Inde et le Brésil sont connus pour abriter des “fermes à clics”, ces alignements de smartphones qui “like” des comptes contre quelques centaines d’euros. Tout s’achète…
Influenceur, un job de rêve ?
•L’influence “beauté” de Kylie Jenner de L’Incroyable famille Kardashian lui a permis de bâtir un empire de près d’un milliard de dollars. Au Royaume-Uni, les 7-11 ans placent le job d’influenceur à la 4e place dans le classement de leurs métiers préférés, devant policier et chanteur ! (Étude Drawing the Future présentée au forum économique mondial de Davos, en 2018.)
•Sur Instagram, un post sponsorisé peut dépasser les 10 000 euros chez les influenceurs qui ont plus d’un million d’abonnés.
•L’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique a déposé deux plaintes pour “travail illicite” en mai 2018. L’association se bat pour que les droits des jeunes youtubeurs soient protégés, comme ceux des enfants chanteurs ou acteurs.
Témoignages de collégiens
Gauthier, 12 ans : “Si les placements de produits restent dans le thème de la chaîne et qu’ils peuvent aider le youtubeur à faire des vidéos de meilleure qualité, ça ne me pose pas de problème. Parfois, j’ai envie d’acheter, mais mes parents ne veulent pas.”
Ariana, 14 ans : “J’ai déjà vu un snap où une fille parlait d’un thé qu’elle faisait semblant de boire. Les influenceurs montrent des produits qu’ils ne testent même pas ! J’aimerais qu’ils évitent les trucs minceur ou les blanchiments dentaires… À notre âge, pas sûr ce que ce soit très bon.”
“C’est quoi être influenceur ?”, Okapi n°1081, 1er décembre 2018. Texte : Claire Le Nestour. Illustrations : Manu Boisteau.