Marie-Rose Moro : « L’adolescence est une tempête sympatique ».
© Photo : Florence Brochoire. Okapi n° 1215, 1er février 2025.

Marie-Rose Moro : « L’adolescence est une tempête sympathique »

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La Maison de Solenn, ou Maison des adolescents de l’hôpital Cochin (Paris), accueille et soigne depuis 20 ans les adolescent(e)s souffrant de dépression ou de troubles du comportement alimentaire. Okapi, le magazine Bayard Jeunesse des 10-15 ans, a rencontré la pédopsychiatre Marie-Rose Moro. Elle dirige le lieu depuis 2008 et éprouve toujours la même fascination pour l’adolescence…

Prendre soin de la santé mentale des adolescent(e)s

Okapi : Comment êtes-vous devenue pédopsychiatre ?

Marie-Rose Moro : Aucun de mes parents n’était médecin. Quelques années après ma naissance, ils sont venus s’installer dans les Ardennes, dans le nord-est de la France. Dans mon souvenir, ils travaillaient dur et nous vivions modestement avec mes 4 frères et sœurs. Je n’ai donc pas grandi dans le milieu médical. J’ai même choisi de devenir pédopsychiatre avant même d’en rencontrer un pour de vrai ! Ado, je voulais étudier la philosophie. Et mon père voulait que je fasse médecine… Finalement, j’ai fait les deux ! Si je devais résumer mon métier en une phrase, je dirais que je m’occupe d’écouter mes jeunes patients, que je prends soin de leur santé mentale et que je les aide à se sentir mieux.

Okapi : Vous dites que l’on n’aime pas assez les ados. Pourquoi, selon vous ?

M.-R. M. : Les adultes ont beaucoup de clichés sur les adolescents : ils les trouvent trop mous, trop fainéants, trop violents, trop ceci ou pas assez cela… Alors qu’en vrai, les jeunes sont tellement plus engagés et cultivés que nous ! En France, on a aussi une vision très pessimiste de l’avenir. À l’école ou à la maison, on n’arrête pas de dire aux ados qu’ils/elles ne pourront jamais faire tel ou tel métier ou mener à bien tel ou tel projet. Pour les aider à grandir, il faudrait plutôt les encourager !

Photo : © Florence Brochoire. Okapi n° 1215, 1er février.

Okapi : À l’inverse, vous aimez tellement les ados que vous dirigez une maison rien que pour eux : la Maison de Solenn. Qu’est-ce qui vous intéresse chez eux ?

M.-R. M. : Les ados me fascinent ! Je ne laisserai personne dire que l’adolescence, c’est facile. Au contraire… Plus qu’une transition, je trouve que cette période de la vie ressemble un peu à des montagnes russes : notre corps change, on cherche notre identité… Disons que c’est une “tempête sympathique” !

Une hausse des troubles psychiatriques à l’adolescence

Okapi : Est-ce que les ados vont plus mal aujourd’hui qu’avant ?

M.-R. M. : À la Maison de Solenn, un lieu où l’on écoute et où l’on soigne les jeunes, on observe que les adolescent(e)s souffrent de plus en plus de troubles psychiatriques. Beaucoup développent des troubles du comportement alimentaire : anorexie ou boulimie. Mais cette anxiété date d’avant le Covid… Difficile d’expliquer la cause de tous ces maux. Aujourd’hui, et plus qu’avant, les ados sont isolés. Au collège, c’est un peu chacun pour soi !

Okapi : C’était comment le collège pour vous ?

M.-R. M. : En arrivant en 6e, j’ai eu l’impression que le monde s’ouvrait enfin à moi ! Mes profs étaient passionnants. Deux m’ont particulièrement marquée : un prof de français, qui faisait de super jeux de mots, et un prof d’anglais, qui avait organisé une sortie à Paris. J’ai adoré mes années collège. Et en même temps, cela m’a un peu traumatisée…

Okapi : Ah bon, pourquoi ?

M.-R. M. : Là-bas, je me suis fait beaucoup d’amis, dont deux super copines. L’une d’elles était très extravertie. Elle avait un fort caractère et adorait la poésie. L’autre était beaucoup plus réservée… En 3e, elle est décédée brutalement. On n’a jamais su pourquoi. Autour de nous, les adultes étaient également très choqués et n’ont pas réussi à nous en parler. Sa mort m’a rendue tellement triste que je l’ai effacée de ma mémoire… C’est lors d’une consultation avec un jeune patient, qui vivait aussi un deuil, que je me suis souvenue de cet événement.

Adolescence : discuter sans juger

Okapi : Comment faites-vous pour vieillir et continuer de comprendre les ados ?

M.-R. M. : Je n’ai pas le choix ! Tous les jours, je passe plusieurs heures à discuter avec des ados et à les écouter, sans les juger. Au fil des entretiens, ils et elles me partagent leur passion. Je découvre, par exemple, des nouveaux noms de rappeurs. La dernière fois, un patient m’a montré un mème. J’avoue : j’ai parfois du mal à interpréter ces images humoristiques !

3 choses à savoir sur Marie-Rose Moro

La Maison de Solenn
Inauguré en 2004 à Paris, ce lieu accueille des adolescents (entre 11 et 18 ans) qui souffrent de dépression ou de troubles du comportement alimentaire. Marie-Rose Moro dirige cette maison des adolescents depuis 2008. Dans ce bâtiment coloré, les jeunes participent à des ateliers radio, des cours de hip-hop ou des groupes de parole pour aller mieux.

Passion Rimbaud
Du poète Arthur Rimbaud, elle admire le côté aventurier et rebelle. Ado, Marie-Rose Moro s’entraînait à écrire “comme lui”. Elle a même séché les cours pour aller voir une expo sur ses poèmes !

Des racines espagnoles
Marie-Rose Moro est née dans une petite ville près de Salamanque, dans l’ouest de l’Espagne. Quelques mois après sa naissance, ses parents ont fui la dictature de Franco pour s’installer en France. De ses origines, elle a gardé une grande passion pour le flamenco !

« L’adolescence est une tempête sympathique », article extrait du magazine Okapi n° 1215, 1er février 2025. Propos recueillis par Juliette Sausse. © Photos : Florence Brochoire.

Couverture du magazine Okapi n°1215, 1er février 2025.
Couverture du magazine Okapi n° 1215, 1er février 2025.