Jeudi 8 janvier, les enseignants de France ont eu la délicate mission de parler à leurs élèves du drame qui s’est déroulé la veille à Paris et de leur faire tenir une minute de silence. Témoignages.
École primaire André Lassagne, à L’Arbresle dans le Rhône
Françoise Locatelli-Ferrus est directrice de l’école primaire André Lassagne, à L’Arbresle, dans le Rhône. Elle enseigne en classe de CM2. Malgré sa longue expérience, elle avoue avoir toujours “une forme d’appréhension” dans ce type de situation.
“Dans ces moments-là, oui, on se sent acteurs de la République. Notre rôle est de véhiculer les valeurs qui la fondent pour faire de nos élèves les futurs citoyens français. C’est pour cela que c’était incontournable d’en parler avec eux. J’avais deux objectifs : leur faire comprendre l’importance fondamentale de la liberté d’expression et prévenir les amalgames. Il était incontournable de faire un point. De toute façon, les enfants n’attendaient que ça : en discuter ensemble.
Je suis partie de ce qu’ils avaient compris, ressenti, et j’ai repris ce qui n’était pas juste. Le débat s’est engagé entre eux. Un garçon a dit : “Il y a eu un attentat dans un journal qui a eu des propos racistes sur le prophète Mahomet : ils l’avaient dessiné avec une bombe sur la tête.” Les autres ont corrigé : “Ce n’était pas raciste, c’était des caricatures.” J’ai expliqué ce qu’est le second degré, et que ce dessin signifiait qu’on ne pouvait pas utiliser Mahomet pour perpétrer des attentats. J’ai parlé de l’esprit français, de la tradition satirique. Il a fallu définir les mots “terrorisme”, “fanatisme”. Les enfants eux-mêmes ont dit qu’il y avait des gens, dans toutes les religions, qui sont “à la limite de la folie”. Ils étaient très conscients de la gravité de l’événement.
Après notre minute de silence, c’était la dictée du jour. J’ai choisi l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle s’est déroulée dans un calme incroyable, ils l’ont prise très au sérieux.
J’étais extrêmement émue durant cette matinée. Dans la vie d’une classe, ce sont des moments forts. C’est difficile d’être l’adulte solide, alors qu’on a une boule dans la gorge, cela fait appel à la sensibilité, la nôtre et celle des enfants. Certains élèves étaient très émus. D’autres étaient moins informés, n’avaient pas suivi. Mais tous ont senti que c’était un moment important. C’est sûrement quelque chose dont ils se souviendront.”
Dans une classe de CM1-CM2, à Langogne, en Lozère
Paola Bideault a 26 ans. Pour sa première année d’enseignement, elle a une classe de CM1-CM2, à Langogne, en Lozère. Aborder le sujet avec ses élèves, c’était faire son devoir.
“Avant qu’ils entrent en classe, j’avais écrit une date au tableau : 1881. Ils m’ont tout de suite questionnée. J’ai parlé de la liberté de la presse, je leur ai dit que ce dont traitaient les leçons d’histoire leur paraissait souvent lointain, mais que là, ils étaient en train de vivre un événement historique. Chacun a écrit un petit texte sur ce qu’il avait compris et ce qu’il pensait. J’ai essayé de répondre le plus justement possible à leurs questions et à leurs inquiétudes. Certains croyaient que Charlie, c’était quelqu’un. L’un a écrit : “Les journalistes n’auraient pas dû.” Un autre : “Ce sont les musulmans qui…” Ça a été l’occasion de faire un point sur le fanatisme religieux, sur la liberté d’expression. Je leur ai fait noter la date du 7 janvier, une phrase sur ce qu’il s’était passé puis le texte de loi.
L’après-midi, ma collègue du RASED (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) leur a proposé un atelier philo sur ce sujet. Je les ai trouvés calmes, pertinents, posés, respectueux les uns des autres. J’étais fière d’eux, j’en avais les larmes aux yeux. On a fait de l’humour aussi. Pour montrer qu’on avait le droit, qu’on pouvait continuer à rire. Je pense que je poursuivrai par un travail sur la caricature, la moquerie, la dérision. C’était une journée particulière mais enrichissante. Les choses ont été dites, et j’espère avoir prévenu les amalgames et la paranoïa. J’appréhendais cette journée, mais en fait, je me suis sentie dans mon rôle et c’est venu tout seul, même s’il a fallu choisir les mots avec soin. Je suis devenue maîtresse aussi pour ça : pour faire de mes élèves des citoyens, pour éveiller leur conscience sociale et politique.”
Dans un collège parisien du 13e arrondissement
Jérôme Calozène est professeur d’histoire dans un collège parisien du 13e arrondissement.
“Les élèves ont été informés très rapidement et abondamment dès mercredi midi via internet et les réseaux sociaux. Ils ont été fortement interpellés par cet événement et sa violence. Et les discussions entre eux étaient vives. En classe, j’ai choisi de leur donner des éléments de contexte : je leur ai expliqué ce qu’est Charlie Hebdo, je leur ai montré des caricatures qui ont marqué l’histoire du journal. Il est important qu’ils réalisent que Charlie Hebdo traite tous les sujets de façon polémique, pas seulement la question de l’intégrisme islamiste. Cela permet de souligner l’importance de la liberté d’expression. J’ai aussi commenté avec eux des unes de quotidiens très différents (Libération, le Figaro et L’Équipe) ce qui a permis de montrer l’unanimité des réactions face à un tel événement. Enfin nous avons ensemble discuté du sens de ce slogan “Je suis Charlie”.
La quasi-unanimité des élèves a souscrit à l’indignation provoquée par ces assassinats. Quelques voix timides ont osé dire que les caricatures de Charlie Hebdo les avaient choquées, ce qui a permis de redire ce qu’est la liberté d’expression. Le collège étant situé au sud de Paris – où une fusillade a eu lieu le matin même à Montrouge –, ces événements sont pour eux très proches. Aussi certains ont employé le terme de “guerre civile”, sans-doute sans en mesurer la portée. Mais cela permet de réaliser à quel point l’émotion les envahit.”
Le magazine Astrapi a produit un livret “L’attentat au journal Charlie Hebdo” qui aide à trouver des mots simples pour discuter de ce sujet.
Vous pouvez le télécharger en cliquant ici.
Anne Bideault et Hélène Hauri