Est-ce qu’on peut dire : “Wallah” si on est chrétien ? C’est quoi le ramadan ? Et à quel moment sait-on qu’on est croyant ?… À l’occasion du lancement du nouveau podcast Oh My God !, la rédaction du magazine Phosphore répond aux questions des adolescents sur les religions. À lire dans la rubrique “Partager” du numéro du 1er mai et ci-dessous.
À quel moment sait-on que l’on est croyant ?
“Chaque religion définit des obligations, des pratiques, des principes à respecter. Mais il y a un niveau plus profond où on se pose la question : Qu’est-ce que croire en Dieu ? Comment en être sûr ? C’est une question très difficile, car elle est sans fond”, admet Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions et auteur de La Bible expliquée aux jeunes. “Foi” vient du mot latin fides qui signifie “confiance”. “C’est donc faire confiance à une réalité absolument autre. Les chrétiens disent que c’est d’abord un amour : le sentiment que je suis aimé, protégé par un Dieu. Mais cela peut être aussi un sentiment de crainte ou de terreur face au divin inconnu.” Et croire ne signifie pas que l’on ne doute pas ou que l’on ne questionne pas sa croyance. “Nous sommes aujourd’hui dans des sociétés très contradictoires : d’un côté, c’est infiniment plus difficile de croire que dans le passé. Et, en même temps, notre société est traversée par mille croyances, y compris des croyances ridicules.” Ghaleb Bencheikh, islamologue, président de la Fondation de l’islam de France complète : “Cela fait partie des questions métaphysiques qui taraudent l’homme : pourquoi naître pour mourir un jour ? Existe-t-il une vie après la mort ?”
«En recherchant des tentatives de réponses à ces questions, poursuit-il, on peut émettre l’hypothèse qu’il y a un horloger dans cet univers, une force surnaturelle à l’origine du monde. On entre alors dans le registre du croire. Quand on croit en un Dieu, c’est comme un brasier intérieur d’amour pour un tout autre que l’on sent proche, en soi. Comme dit le Coran : “plus proche que la veine jugulaire”. » La question se pose différemment chez les juifs, explique Jean-Marc Chouraqui, professeur d’histoire du judaïsme à l’université d’Aix-Marseille : « On ne dit pas en hébreu : est-ce que tu es croyant mais est-ce que tu observes les commandements ? C’est-à-dire : “Es-tu Shomer Shabbat, est-ce que tu observes le shabbat ?” Dans le monde, il y a au maximum 15 à 20 % de juifs pratiquants. Et ces juifs ne diront pas : “Je suis croyant”. Pour les juifs, la Torah (texte fondateur du judaïsme) s’incarne dans les gestes de tous les jours, comme le shabbat une fois par semaine. »
À quel moment sait-on que l’on est croyant ? Témoignages
• ”Être croyant est inexplicable, j’ai toujours été persuadé qu’il y avait une force supérieure dont on dépendait. Par contre, le fait d’adhérer à des principes religieux est pour moi davantage un choix”, Amine, musulman.
• ”J’envie les gens qui ont des déclics et en même temps, je sais que ce ne serait pas moi, je suis quelqu’un qui doute. Donc je ne dirais pas que je suis croyante, mais tous les jours, je choisis de l’être”, Deborah, catholique.
• ”J’ai remarqué que j’étais croyante en me confrontant à la différence, quand j’ai rencontré des gens qui ne l’étaient pas !”, Ophélie, déiste.
• ”Je trouve ça très beau les religions mais pour moi, ce sont des grandes histoires de l’humanité, je ne crois pas dans leurs aspects plus mystiques”, Alexandra, agnostique.
C’est quoi le ramadan ?
« Tout d’abord, dire : “Je fais ramadan” » n’a pas de sens, souligne Ghaleb Bencheikh, islamologue. C’est comme si je disais : “Je fais mars ou avril”. » Ramadan est le nom du neuvième mois du calendrier musulman, un calendrier qui suit les phases de la Lune, ce qui explique que la date se décale d’année en année. Dans son sens religieux, c’est le mois durant lequel le Coran a été révélé au prophète Mohammed. “C’est un mois de jeûne, du lever du jour jusqu’au coucher du Soleil, où l’on s’abstient de manger, de boire et d’avoir des rapports charnels”, explique Ghaleb Bencheikh. Ce jeûne a trois dimensions. D’abord, apprendre la maîtrise de soi, la patience, l’endurance et affirmer son caractère.
C’est aussi un mois de partage et de solidarité : “Lors des repas, les familles pieuses laissent une portion supplémentaire : le couvert des enfants de la route”, précise l’islamologue. Et c’est enfin un moment d’élévation spirituelle, une recherche d’intériorité. “Quand on est fatigué par le jeûne, on est allégé des tourments de la vie ; ainsi on ne trahit pas, on ne complote pas, on ne ment pas, on ne vole pas. Avec la fatigue physique, une sérénité intérieure s’installe.” Le ramadan s’entoure de nombreuses traditions selon les origines. “S’il s’agit de Maghrébins, on retrouvera la chorba, une soupe qui est bonne pour le jeûneur. Il y a bien sûr toutes les pâtisseries. Il y a de l’exagération durant les moments festifs même si ce n’est pas ça qui est recherché.”
C’est quoi le ramadan ? Témoignages
• “Pour moi, c’est un mois où les musulmans sont en paix et se ressourcent”, Mélanie, catholique.
• “Personnellement, je vois le ramadan comme un mois de fête”, David, juif.
• “Je le perçois comme un mois qui demande un effort avec une grande dimension de partage”, Margaux, catholique.
• “L’idée, c’est bien sûr d’avoir un bon comportement pendant ce mois, mais aussi de le faire perdurer”, Yasmine, musulmane.
C’est quoi shabbat ?
Dans la Genèse, le premier livre de la Bible des chrétiens et de la Torah des juifs, Dieu crée le monde en six jours et se repose le septième. C’est le shabbat, mot hébreu qui signifie “suspension”. Pour célébrer ce moment, les juifs arrêtent à leur tour tout travail du vendredi soir au samedi soir – septième jour de la semaine du calendrier hébraïque. « Pendant six jours, on est distrait de l’essentiel à cause de la vie, de notre rythme métro-boulot-dodo, développe Jean-Marc Chouraqui, professeur d’histoire du judaïsme. Contre ce divertissement, la tradition juive pose le shabbat, afin de faire le vide. On suspend toute activité productive donc on installe des minuteries pour ne pas éteindre ou allumer la lumière. Les juifs très pratiquants n’utilisent ni téléphone ni télé. Le shabbat est très différent du dimanche, mais parmi les points communs il y a le souci de bien manger, de bien s’habiller… On crée une atmosphère particulière pour se laisser aller. C’est le vers de Baudelaire : “Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté.”»
”Il faut que ce soit un jour de réjouissance, explique-t-il. On parle du délice du shabbat pour l’esprit et le corps, on doit faire trois repas en famille ou avec des amis. Il est bien sûr recommandé d’aller à la synagogue. Traditionnellement, le vendredi soir, la femme ouvre le shabbat en allumant deux bougies.”
C’est quoi shabbat ? Témoignages
• ”J’ai découvert shabbat en regardant La Vérité si je mens ! avec la scène du repas du vendredi soir et différents rites comme la lecture d’un passage de la Torah et le partage du verre de vin”, Amine, musulman.
• ”Moi, j’allais le vendredi soir chez mes parents, passer un vrai moment avec eux : on faisait la prière d’entrée en shabbat et on partageait le couscous”, David, juif.
• ”De l’extérieur, j’associe le shabbat au repas du vendredi, à la convivialité, mais comme il dure vingt-cinq heures, j’imagine qu’on ne peut pas le résumer à ce moment”, Margaux, catholique.
Peut-on se marier avec une personne de religion différente ?
”Bien sûr !”, répond Laurence Loeffel, spécialiste en philosophie de l’éducation. Dans un pays laïque comme la France, la question ne se pose pas. À la mairie, personne ne vous demande votre religion. Du point de vue du droit et de la vie civile, c’est d’ailleurs cette cérémonie devant le maire, représentant de l’État, qui compte. ”Le mariage civil est une institution fondatrice et symbolique : c’est un choix qu’on fait avec quelqu’un. On n’est d’ailleurs pas obligé de se marier.”
Jean-Louis Schlegel auteur de La Bible expliquée aux jeunes, nous explique ce qu’il en est pour les catholiques : ”On peut se marier avec une personne d’une religion différente ou qui n’a aucune croyance. L’Église reconnaît une supériorité de l’amour humain et de la liberté humaine sur ses propres lois.” C’est la règle actuelle mais dans la réalité, l’entourage ou les prêtres peuvent se montrer réticents. ”Il faut le reconnaître, la différence religieuse reste une différence forte, car il ne s’agit pas simplement d’idées. Ce sont aussi des pratiques, des convictions. Mais l’Église et les religions doivent regarder les choses en face : dans une société multiculturelle, les chances d’un catholique d’épouser une non-catholique, ou l’inverse, sont devenues plus nombreuses. Il faut donc trouver des solutions qui respectent l’autre.” Dans la Bible, il n’y a pas grand-chose à ce sujet. Ses récits ne relatent pas des mariages d’amour : ce sont des intérêts économiques, sociaux ou tribaux qui guident les familles pour unir un garçon et une fille, « des mariages de “raison” pour assurer la survie du groupe. »
Ghaleb Bencheikh président de la Fondation de l’islam de France, explique l’évolution des traditions chez les musulmans : ”Selon l’approche traditionnelle, l’homme peut épouser une croyante musulmane, juive, chrétienne, mais pas une athée. La femme ne peut, elle, qu’épouser un musulman. Cela s’explique par des raisons qui ne sont plus recevables de nos jours.” Jusqu’au XIXe siècle, les sociétés étaient patrilinéaires : le nom et la religion se transmettaient par l’homme. « On raisonnait en terme “de gain et de perte” dans une union, la filiation était capitale. La situation a évolué, j’ai entendu Tareq Oubrou, l’imam de Bordeaux, dire qu’entre un musulman non-éduqué qui ne respecte pas son épouse et un non-musulman qui la respecte et la chérit, il n’y a aucune hésitation à avoir. »
Pour Jean-Marc Chouraqui professeur d’histoire du judaïsme, la question est délicate : ”Aucune religion monothéiste n’a accepté de gaieté de cœur les mariages mixtes. Au sein du judaïsme, doctrinalement, le mariage mixte n’est pas possible. Attention cependant, le judaïsme ce n’est pas les juifs. Il y a la doctrine et il y a les gens. Depuis que les juifs sont devenus des citoyens comme les autres après la Révolution française, ils se sont intégrés. Et depuis le XIXe siècle, il y a des mariages mixtes.”
Peut-on se marier avec une personne de religion différente ? Témoignages
• ”Oui, parce que c’est mon cas ! On sait l’un l’autre qu’on ne pourra pas se convaincre et c’est ce qui fait que notre mariage fonctionne”, Floriane, agnostique.
• ”Pour moi, ma religion est tellement une conviction forte que j’aurais du mal à partager ma vie avec une personne qui n’a pas cette conviction”, Yasmine, musulmane.
• ”Je me verrais bien me marier avec une personne qui n’est pas de ma confession, parce que je trouve qu’il y aurait une richesse incroyable dans notre couple”, David, juif.
• ”Tout dépend du sens du mot mariage, pour moi c’est un sacrement donc il faut que l’autre accepte et respecte la présence de Dieu dans notre union”, Margaux, catholique.
On peut dire “wallah” si on est chrétien ?
”Oui, bien sûr, répond Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’islam de France. Un chrétien le dit déjà s’il est arabe. On pense qu’Allah désigne le dieu des musulmans, ce qui est faux.” Allah, c’est le mot arabe pour ”dieu”. Wallah signifie ”par dieu” dans la langue arabe, il sous-entend qu’on jure en prenant Dieu à témoin.
« Rien n’empêche un chrétien qui s’exprime dans une autre langue que l’arabe de dire “wallah”, poursuit Ghaleb Bencheikh. Il m’arrive de dire : ”My God”. Un anglican peut-il m’en vouloir car j’ai dit ça ? Ayant précisé cela, il est judicieux de rappeler que dans la tradition islamique, les croyants ne jurent qu’avec parcimonie. Et s’ils doivent vraiment jurer, ce ne sera qu’en invoquant Dieu, comme le stipule la phrase prophétique : ”Que celui qui jure le fasse par Dieu ou qu’il se taise.” Dans la culture populaire, on jure parfois sur le Prophète, la Mecque ou le Coran, voire sur la tête de ses parents, pour exprimer sa bonne foi… ça n’a pas beaucoup d’importance. »
Jean-Louis Schlegel, auteur de La Bible expliquée aux jeunes, précise : « Pour les catholiques, les jurons avec le nom de Dieu sont interdits en vertu du deuxième commandement : “Tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain.” Mais les jurons, on les prononce justement parce que c’est interdit, ou pour transgresser un interdit. Pour cette raison, parce que nous sommes dans une société laïque, où la foi en Dieu a beaucoup reculé, les jurons n’ont plus beaucoup d’importance. Je ne crois pas qu’on pense à Dieu quand on dit : “Bon Dieu” ou “Nom de Dieu”. »
On peut dire “wallah” si on est chrétien ? Témoignages
• “Quand j’entends wallah, j’ai tendance à donner plus de crédit à ce qui est dit, car pour moi, la personne prend Dieu à témoin”, Flavie, catholique.
• « Je me méfie quand on me dit “j’te jure”, je me demande toujours s’il n’y a pas un mensonge derrière », Mélanie, catholique.
• ”Quand un mot religieux entre dans le langage courant, il prend un autre sens ; c’est le cas de wallah ou inch’Allah”, Amine, musulman.
• “Utiliser le même mot dans des cultures différentes peut aussi être vu comme une façon de créer du lien”, Deborah, catholique.
“Oh My God !”, un podcast qui prolonge l’échange
L’idée de ce podcast mûrit à la rédaction depuis un moment ! En 2017, nous avions invité dix ados de toute la France pour imaginer des propositions pour la jeunesse à l’occasion de l’élection présidentielle. Le premier soir, alors que nous mangions, deux d’entre eux se sont mis à parler de religions. C’était animé, passionnant et… difficile de les arrêter. Ça nous a interpellés dans notre société où la foi recule (37 % des Français se déclarent croyants, selon un sondage pour l’Observatoire de la laïcité).
Les années suivantes nous ont montré que les questions de religions s’invitaient dans les débats de société, devenant un sujet de crispation et d’incompréhensions. Il nous a alors semblé important de revenir à la base : pour se comprendre, il faut se rencontrer et apprendre des autres. Que représente le ramadan pour les musulmans ? Shabbat pour les juifs ? Que célèbrent les chrétiens à Noël ? Rappeler aussi que parler de religions ne veut pas dire que tout le monde est croyant, c’est aussi l’endroit des questions et des doutes, des athées et des agnostiques. Notre démocratie nous permet de vivre ensemble en étant différents, la laïcité est le principe qui garantit à tous cette liberté de croire ou de ne pas croire.
Nous avons croisé le chemin de l’association Coexister, qui rassemble justement des jeunes de confessions différentes. Ils interviennent dans les établissements scolaires et nous ont fait remonter des questions de lycéens qui reviennent régulièrement. Nous avons décidé d’y répondre dans ce podcast Oh My God !, avec ces jeunes qui partagent leurs vécus, leurs anecdotes et leur cheminement, mais aussi leur complicité et leurs désaccords. Et nous nous sommes entourés d’experts, spécialistes des religions et de la laïcité pour nous éclairer : Que disent les textes ? Quels sont les grands points de repère que nous pouvons mettre en commun ? Quels sont les points de débat ? Les règles et les pratiques ? Au-delà de ces connaissances qui relèvent de la culture générale, nous avions à cœur de montrer qu’il est possible de parler de religions posément, de débattre sans s’invectiver, qu’on peut aussi en rire et même faire des liens avec les chansons d’Aya Nakamura ou La Vérité si je mens ! À toutes et tous, nous vous souhaitons une bonne écoute !
- Retrouve Oh My God ! sur toutes les plateformes : Spotify, Deezer, Apple/Google podcast… Et, attention spoiler : on n’est pas Netflix, on ne va pas faire durer le suspense, il y aura bien une saison 2 !