Pour beaucoup d’enfants, dans beaucoup de familles, le moment du coucher est compliqué et les problèmes de sommeil assez fréquents… comme en témoigne cet article publié dans le magazine Pomme d’Api. Que faire pour que cela se passe mieux ? Et quels sont les bons gestes pour faciliter l’endormissement de votre enfant ?
“J’ai tout essayé !”
Je vais être honnête avec vous : je me demande bien pourquoi Pomme d’Api m’a demandé d’écrire cet article sur le coucher. Car en matière d’éducation, s’il y a bien une chose dans laquelle je n’ai pas brillé par mon savoir-faire, c’est le coucher. Je me rassure en faisant le tour de la rédaction du magazine : aucun collègue ne pavoise en s’exclamant : “Jamais le moindre souci chez moi : hop au lit, et c’est fini !” Je me sens moins seule aussi à la lecture des réponses à notre appel à témoins sur la page Facebook de Pomme d’Api. Bref, comme la plupart des jeunes parents, j’ai tout essayé :
•m’allonger par terre à côté de son lit (très inconfortable !),
•mettre le mauvais dormeur avec sa grande sœur (“Il m’empêche de dormiiiir !”),
•passer des heures dans le noir à lui chanter des comptines (et mon dîner ?),
•le prendre dans le lit parental (qu’est-ce qu’il gigote !),
• ressortir le lit à barreaux (pas si mal, d’ailleurs),
• faire appel à la baby-sitter (mais pourquoi ça marche avec elle ?… Et que ça fait du bien d’aller au ciné !)
•être un modèle de patience (“Un verre d’eau ? J’arrive ! Un troisième pipi ? J’arrive ! Un huitième câlin ? Je suis là !”)
•faire preuve de fermeté (“J’en ai ras-le-bol, t’as qu’à pleurer !”),
•baisser les bras (“Il est 23 heures et tu veux lire ? Mais lis donc !”)
L’avis de spécialistes du sommeil
Rien que de très classique, note Marie-Josèphe Challamel, pédiatre et spécialiste du sommeil : “Entre 30 et 50 % des enfants de moins de 5 ans ont, ou ont eu, des difficultés de sommeil pendant au moins trois mois.” Un mal répandu, mais préoccupant, car une “privation chronique de sommeil” retentit sur la capacité de concentration et donc d’apprentissage, mais aussi sur le comportement (agitation, agressivité). Le risque de tomber malade s’accroît, tout autant que celui d’être sujet au surpoids. À titre de repère, même si des différences entre les individus sont notoires, la spécialiste estime qu’aux alentours de 5 ans, un enfant a besoin d’au moins onze heures de sommeil par jour (sieste et nuit cumulées) et devrait être couché le soir avant 20 h 30. Des études ont montré que ces dernières décennies, les enfants ont perdu en moyenne deux heures de sommeil par jour, essentiellement à cause d’un retard de l’heure habituelle du coucher.
Que fait-on quand on n’y arrive pas, et qu’on a juste l’impression qu’on est de mauvais parents ? “Les difficultés de sommeil sont généralement bénignes : 60 % d’entre elles ont des causes environnementales”, explique Marie-Josèphe Challamel. Par cause environnementale, elle entend : l’ambiance générale, les gestes et les actions qui accompagnent ce moment, et tout particulièrement le fait que l’enfant “soit devenu dépendant de ses parents pour s’endormir.”
Anna Pinelli est sage-femme et coordinatrice petite enfance d’une commune de l’Ain. Elle fait aussi – depuis plus de 30 ans – de l’accompagnement à la parentalité. Des parents, souvent à bout de nerfs, l’appellent de toute la France pour la consulter pour des problèmes d’endormissement de leurs bébés ou leurs jeunes enfants. Son mot d’ordre : “Pas de panique, vous allez y arriver.” Une fois qu’elle s’est fait décrire le contexte, les habitudes, les façons de faire, elle livre à ces parents certaines connaissances physiologiques et psychologiques sur le sommeil infantile : “En dédramatisant, avec de la patience et de la présence, tout doucement, ces parents peuvent réussir à déconditionner leur enfant de mauvaises habitudes d’endormissement.”
Pour estimer si votre enfant manque de sommeil, observez-le en fin de journée. Un enfant qui dort suffisamment est d’ordinaire calme, peu colérique, il n’est ni agité ni agressif. Sachez repérer l’entrée en gare du train du sommeil. Les signes d’endormissement sont généralement silencieux : on se frotte les yeux, le nez, on s’isole… Si on loupe ce train, l’enfant pleure, ne sait plus ce qu’il veut. Et on va souvent lire ses pleurs comme le refus d’aller dormir. “Chez les bébés et les très jeunes enfants, la phase d’endormissement est agitée. Or, note Anna Pinelli, les adultes ont tendance à voir dans cette agitation un refus de dormir. Cela les entraîne parfois à ne pas les coucher, ou à les relever pour les prendre dans leur bras.”
Les bons gestes pour un coucher en douceur
•Veiller à ce que le rythme veille/sommeil soit régulier : adopter une heure du coucher fixe, ne pas changer radicalement le rythme entre semaine et week-end, entre chez Papa et chez Maman, dans le cas d’une garde alternée.
•Durant l’heure qui précède le coucher, l’enfant ne devrait pas être exposé aux écrans. La relation entre le temps d’exposition aux écrans et la diminution du temps de sommeil a été prouvée.
•La température corporelle influence aussi l’endormissement : plus elle est élevée, moins on s’endort. Mieux vaut donc enchaîner dîner et dodo, sans temps de jeu ou d’activités physiques – trop excitants.
•Les enfants sont aujourd’hui très stimulés par la vue – à tel point qu’ils ont parfois du mal à fermer les yeux. Or les ondes alpha, qui contribuent au sommeil, ne se libèrent qu’une fois les paupières fermées. Poser un doudou léger sur les yeux (sans boucher le nez !) peut aider.
•Très tôt, il est important que les enfants s’habituent à dormir dans le noir ou dans une chambre très peu éclairée. La sécrétion de mélatonine, qui joue un rôle important dans le déclenchement du sommeil et son maintien, est bloquée par la lumière (en particulier par celle des LED et leur lumière bleue).
•Créer une ambiance calme : dans sa chambre, bien sûr, mais aussi dans le reste de la maison. Normal qu’il ne veuille pas rester au lit si ses parents sont en train de regarder un match de foot, si sa grande sœur joue à un jeu vidéo ou écoute de la musique fort.
•Instaurer un rituel : les enfants pour lesquels les parents prennent le temps de répéter tous les soirs un rituel (court) s’endorment mieux. Ça aussi, c’est prouvé !
•Prévenir de ce qui va se passer et… ne pas lâcher : “Je vais te lire deux histoires, et après, je sortirai de ta chambre.” Lorsqu’il est prévenu, l’enfant accepte mieux la règle. Lors de la lecture de l’histoire du soir, autant que l’enfant soit déjà allongé dans son lit : une fois l’histoire finie, il n’y aura pas de déplacement à faire.
Et les sirops ?
On a parfois la tentation de faire usage de sirops pour aider à l’endormissement. Marie-Josèphe Challamel déconseille “de répondre à un problème de sommeil par un médicament”, fut-il “de plantes”. Dans un pays comme la France, plus gros consommateur de somnifères d’Europe, ce serait induire une habitude peu souhaitable. Et laisser entendre à son enfant qu’à toute difficulté répond une potion.
Et la sieste ?
Nombreux sont les enfants de moins de 6 ans pour lesquels une sieste serait bénéfique. Toutefois, une sieste trop tardive et trop longue (au-delà de 16 heures) retarde l’endormissement du soir. Mieux vaut donc la leur faire faire en tout début d’après-midi (comme cela se pratique d’ailleurs à l’école maternelle).
Et les histoires qui font peur ?
Les parents hésitent souvent à lire le soir des histoires qui font peur, même quand leurs enfants les leur réclament. Or la peur est déjà là, ce n’est pas l’histoire qui la suscite. Elle ne fait que mettre des mots sur des terreurs* que l’enfant éprouve déjà, et ça l’aide. Quand un enfant choisit systématiquement ce type d’histoires, c’est qu’il en est à ce stade (pour aller plus loin, lire l’article “J’ai peur des cauchemars”, publié sur Pomme d’Api.com).
Si de grosses difficultés d’endormissement perdurent, votre généraliste, ou votre pédiatre, pourra vous orienter vers une consultation dans un Centre du sommeil pour enfant. Il en existe hélas trop peu en France. Les adresses sont disponibles sur le site Sommeilsante.asso.fr
Le sommeil selon l’âge
Aux alentours de 2 ans
L’enfant, qui traverse la phase dite “d’Œdipe”, se rend compte que son père et sa mère dorment dans le même lit. Normal qu’il ait envie, lui aussi, de dormir avec quelqu’un, et réclame donc la présence d’un de ses parents. Mais on n’est pas obligé d’accéder à ce désir !
À partir de 3-4 ans
L’enfant commence à intégrer l’angoisse et la peur. S’il ne comprend pas intellectuellement ce que c’est que la mort, il saisit que c’est quelque chose d’effroyable. Inconsciemment, il se dit : “Je suis seul dans mon lit, c’est la nuit. À mon réveil, est-ce que mes parents seront toujours là ?” Ces angoisses surgissent de façon d’autant plus nette si la mort s’est invitée dans son quotidien (que ce soit par la disparition d’un proche, bien sûr, mais aussi la mort d’un animal de compagnie, la vision d’un oiseau mort…). Ces disparitions peuvent avoir un fort impact sur son sommeil.
À partir de 6-7 ans
C’est plus tranquille… jusqu’à l’adolescence et ses hormones !
Pour aller plus loin
Marie-Josèphe Challamel et Anna Pinelli sont engagées dans un travail d’information du public et de formation des professionnels au sein de Prosom, l’association nationale de promotion des connaissances sur le sommeil.
À lire : Le sommeil, le rêve et l’enfant, de Marie Thirion et Marie-Josèphe Challamel, Albin Michel, nouvelle édition 2011.
“Allez au lit ! Enquête au pays du sommeil”, supplément pour les parents du magazine Pomme d’Api, octobre 2016. Texte : Anne Bideault, illustrations : Muzo.