Immigrés, migrants, déplacés, réfugiés… nos ados entendent forcément parler de ces mouvements de populations dans l’actualité. Mais savent-ils que l’Homo sapiens a été un grand migrant ? Ou encore que, de la famille qui fuit la guerre au retraité en quête de soleil, en passant par l’étudiant chercheur, les raisons de quitter un pays sont multiples ? Ce dossier du magazine Okapi fait le point sur les migrations humaines, un moteur de l’humanité depuis ses origines.
Qui sont les migrants ?
Difficile de dresser le portrait-robot des migrants, tant leurs profils sont variés. Il y en a de tous âges et de toutes conditions.
Aux débuts de l’humanité…
Des humains préhistoriques
Il y a 2 millions d’années, les ancêtres de notre espèce sont partis à la découverte du monde. Les Homo sapiens, apparus il y a environ 300 000 ans, ont eux aussi eu rapidement la bougeotte et commencé à explorer le reste de la planète. Ainsi, notre espèce est aujourd’hui la seule à s’être installée partout !
Différentes espèces
Lorsque Homo sapiens commence à parcourir le monde, il rencontre d’autres humains. Des métissages ont lieu. Nous sommes donc tous des descendants de ces lointains migrants, et tous des métis… Ces mélanges ont permis à notre espèce de s’adapter aux nouveaux environnements et aux maladies.
Au 19e siècle
Des jeunes hommes
Au fil du temps, le profil des candidats au départ a changé. Au 19e siècle, par exemple, quelque 30 millions d’Européens traversent l’Atlantique pour rejoindre les États-Unis. Ce sont alors d’abord les jeunes hommes qui entreprennent le voyage rejoints ensuite par leurs femmes et leurs enfants.
Aujourd’hui
Tout le monde
En 2025, les chercheurs estiment que 325 millions de personnes seront considérées comme des migrants, c’est-à-dire qu’elles vivront depuis plus d’un an dans un pays où elles ne sont pas nées. L’Organisation des Nations unies comptait 281 millions de migrants en 2020. Parmi eux, il y a presque autant de femmes que d’hommes, de tous les âges et de tous les milieux sociaux.
Des enfants
Le monde compte plus de 30 millions d’enfants migrants, et 150 000 d’entre eux sont des “mineurs non accompagnés” qui voyagent sans l’aide d’un adulte… Pour eux, les routes et les traversées sont très difficiles et dangereuses.
Pourquoi migre-t-on ?
À chaque départ correspond une histoire. Tout migrant a une raison bien à lui de quitter son pays, sa ville, sa famille. Pour chercher le meilleur, mais aussi pour fuir le pire.
Pour ses études
En France, 35 % des doctorants (qui étudient plus de 5 ans après leur bac) sont étrangers. Grâce à eux, la recherche progresse… et il en est ainsi dans tous les pays, qui profitent des envies de voyage et d’expérience des jeunes.
Pour fuir la guerre
Parfois, on est obligé de quitter son domicile, mais sans changer de pays, pour tenter d’avoir une nouvelle vie. On parle de personnes “déplacées”. Fin 2023, 68 millions de personnes se sont trouvées “déplacées” au sein de leur pays à cause de la guerre, de la sécheresse, etc.
Par espoir d’une vie meilleure
Pourquoi les gens quittent-ils leur pays ? Souvent, il s’agit d’améliorer leurs conditions de vie. C’est pourquoi certains pays font encore rêver, comme les États-Unis qui accueillent le plus grand nombre d’immigrés : 46 millions y vivaient en 2022. Parmi eux, les Mexicains sont les plus nombreux, suivis par les Indiens.
À cause des crises climatiques
En 2050, 216 millions de personnes pourraient être obligées de se déplacer en raison des changements environnementaux. Cependant, le statut juridique de “réfugié climatique” n’existe pas encore.
Pour une belle retraite
Pour passer leur vieillesse au soleil, des Canadiens s’installent dans les Caraïbes, des Suédois aux Baléares. De la même façon, certains Français prennent leur retraite en Algérie ou encore au Portugal. C’est ce qu’on appelle la migration des retraites. Une preuve supplémentaire que le visage des migrants est multiple.
Comment migre-t-on ?
Plus les modes de transports se développent, plus les déplacements sont nombreux. Désormais, le monde est à portée de main ! Certaines migrations restent pourtant meurtrières.
À pied
Les premiers humains ont quitté l’Afrique à pied… donc ils ont mis du temps à conquérir le monde. Ils sont arrivés en Amérique il y a seulement 20 000 ans. Lors des migrations du Néolithique (il y a environ 10 000 ans), du Proche-Orient vers l’Europe, il a fallu 2 000 ans pour parcourir 3 000 km… soit un déplacement de 60 km par génération !
En bateau, en train, en avion
Avec le développement des moyens de transport, les migrations sont devenues plus lointaines et rapides. Mais elles sont parfois risquées… Au début du 19e siècle, 10 à 20 % des passagers mouraient sur le bateau entre l’Europe et les États-Unis.
Libres ou contraints
Avec un passeport français, il est possible d’entrer sans visa (autorisation administrative) dans 192 pays. Avec un passeport somalien, dans seulement 35 pays. Ces différences poussent les migrants des pays en développement à prendre des voies migratoires risquées.
Dans tous les sens
L’être humain n’a jamais bougé en ligne droite et dans une seule direction. À l’époque préhistorique, la dispersion s’est faite dans tous les sens et avec de nombreux allers-retours. Aujourd’hui encore, les parcours sont faits de départs manqués, d’escales, de retours temporaires ou définitifs…
Au péril de sa vie
En 10 ans, plus de 63 000 personnes ont perdu la vie ou ont disparu lors d’une migration. De nombreux migrants qui quittent l’Afrique, par exemple, se retrouvent victimes de graves persécutions sur leur trajet. Parfois même, ils sont réduits en esclavage. Et 3 000 d’entre eux, hélas, meurent chaque année lors de la dangereuse traversée de la Méditerranée.
Avec sa culture
Les arrivants apportent dans leurs bagages leurs traditions culinaires, leur musique, leurs œuvres artistiques et littéraires… et laissent leurs traces dans les pays d’accueil. C’est ainsi que le kebab, la pizza ou le couscous ont conquis la France et font aujourd’hui partie de nos plats préférés !
3 idées reçues sur les migrations humaines passées au crible
Idée reçue #1 : On va tous devenir “café au lait”
À cause des migrations et des métissages, tous les êtres humains finiront-ils par se ressembler, avec une peau marron, des yeux bruns et des cheveux noirs ? Non, répondent les spécialistes de la génétique. Bien au contraire ! Ils sont formels : les métissages créent de nouvelles teintes de couleur de peau, de cheveux, d’yeux… bref, notre espèce va continuer à se diversifier.
Idée reçue #2 : Les habitants des pays pauvres affluent dans les pays riches
Souvent, ils n’en ont pas les moyens. Près de deux migrants sur trois s’installent dans un pays du même niveau de développement que leur pays d’origine. Et en 2024, 75 % des réfugiés ont été accueillis dans des pays à faibles revenus ou revenus intermédiaires. Ces chiffres montrent que ce n’est pas vers les pays occidentaux que se tournent la plupart des migrants des pays pauvres.
Idée reçue #3 : Il y a de plus en plus de migrants
C’est vrai, mais cela reste un phénomène largement minoritaire à l’échelle de l’humanité. Dans les années 1990, le pourcentage de réfugiés était inférieur à 3 % de la population mondiale ; aujourd’hui, il est d’environ 4 %. De son côté, la proportion d’immigrés par rapport à la population totale varie selon les pays : aux Émirats arabes unis, elle atteint 88 %, en Australie 30 %, aux États-Unis 15 %… Et en France ? 10,7 % de la population est immigrée.
Le vocabulaire des migrations humaines
- Immigré
C’est une personne qui arrive dans un pays pour y travailler ou se marier, par exemple. Elle doit obtenir un titre de séjour, puis après quelques années, elle peut demander la nationalité de son pays d’accueil. - Réfugié
C’est une personne qui fuit son pays parce qu’elle y est en danger. Elle peut demander l’asile dans un autre pays, c’est-à-dire une protection. Si elle l’obtient, elle devient “réfugiée”. - Sans-papiers
C’est une personne migrante qui n’a obtenu ni l’asile ni un titre de séjour. D’après l’Institut national d’études démographiques, les immigrés d’Afrique sub-saharienne ne représenteraient au maximum que 4 % de la population européenne en 2050.
3 questions à François Héran, anthropologue
“Prévoir l’évolution des migrations est quasiment impossible”
- François Héran est un grand spécialiste des migrations. Il est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Migrations et sociétés.
Comment ont évolué les migrations au cours des dernières années ?
Les migrations internationales ont augmenté de 60 % au cours des 20 dernières années partout dans le monde. Cette évolution est liée aux migrations pour faire des études, qui se sont développées, ainsi qu’aux migrations liées aux conflits. Enfin, de plus en plus de pays atteignent des niveaux de développement intermédiaires, et ce sont leurs habitants qui migrent le plus. Ainsi, il y a logiquement plus d’immigrés.
Et le réchauffement climatique, quel rôle risque-t-il de jouer ?
On peut imaginer que le changement climatique va entraîner des migrations. Mais il risque aussi de rendre des populations encore plus pauvres et fragiles, donc moins capables de migrer qu’aujourd’hui, et donc réduire les migrations. Dans quelles proportions ces deux évolutions vont-elles s’observer et à quelle échelle de temps ? Impossible à dire…
Peut-on prédire comment les migrations vont évoluer ?
C’est quasiment impossible car elles dépendent en bonne partie de facteurs imprévisibles, comme les guerres. La seule chose que l’on peut dire est que, vu la tendance actuelle, il n’y a aucune raison pour que les migrations s’arrêtent ou diminuent vraiment.
3 migrants témoignent : 3 histoires uniques et universelles
Gloria, 23 ans (le prénom a été modifié) : “J’ai habité sur 3 continents”
Je suis Congolaise, mais à partir de mes cinq ans, j’ai vécu en Inde, car mon père y était ambassadeur. Quelques années plus tard, nous sommes repartis au Congo et là, à cause d’un changement de régime politique, je crois, mon père a eu des ennuis et a été victime de tentatives d’empoisonnement. Il nous a dit qu’il était trop dangereux pour nous de rester. Ma mère, mes trois frères et sœurs et moi, avons donc traversé la Méditerranée. En Italie, on a voulu nous renvoyer au pays, mais nous avons résisté. Nous sommes finalement arrivés en France quand j’avais 15 ans. Notre demande d’asile a été refusée, mais j’espère avoir bientôt un titre de séjour pour pouvoir reprendre mes études.
Wael, 38 ans : “Je garde la Syrie dans mon cœur”
Je suis né en Syrie, d’une maman française et d’un papa syrien. J’y ai passé les 10 premières années de ma vie et j’en ai un très bon souvenir. L’école finissait tôt et nous passions nos après-midi à la piscine ! Ensuite, ma mère a préféré que ma sœur et moi continuions nos études en France. J’y allais déjà en vacances, donc l’annonce du départ n’a pas été un choc… peut-être que je ne réalisais pas vraiment non plus. Mon père est resté en Syrie, où il est décédé quelques années plus tard, sans que je l’aie revu. Je n’ai pas non plus pu retourner en Syrie du fait de la guerre qui a éclaté en 2011, mais j’espère y aller avec mes filles un jour, pour leur montrer le pays de mon enfance.
Clotilde, 35 ans : “J’ai vécu comme une vraie américaine”
En 1998, à l’âge de 9 ans, je suis partie vivre aux États-Unis avec ma famille, pour le travail de mon papa. Comme la vie là-bas nous a plu, nous y sommes restés 26 ans ! J’y ai fait mes études, rencontré mon mari, eu mes trois enfants. Je suis devenue plus Américaine que Française. Mais l’année dernière, mes parents ont décidé de revenir en France et cela nous a motivés à rentrer aussi. Pour que nos enfants se sentent un peu Français. Ce qui est amusant, c’est que le plus grand d’entre eux a 9 ans, comme moi lorsque je suis arrivée aux États-Unis. Comme si la boucle était bouclée !
- À voir : l’exposition Migrations, une odyssée humaine. Jusqu’au 8 juin 2025 au musée de l’Homme, à Paris. Si tu habites en région parisienne, ou si tu as l’occasion d’y venir pour quelques jours, voilà une exposition à ne pas manquer pour tout comprendre sur les migrations. Et aussi, peut-être, pour changer son regard. Le musée de l’Homme démonte les stéréotypes et rétablit les faits et les chiffres. En retraçant l’histoire de toutes les formes de migrations, il démontre surtout à quel point elles ont toujours été indispensables à notre espèce.