Agroécologiste, connu dans le monde entier, Pierre Rabhi n’avait jamais accordé d’interview à un magazine pour la jeunesse. Pour Images Doc, il a accepté de répondre aux questions de Mathis, 10 ans. Découvrez l’intégralité de cette rencontre passionnante…
Images Doc a rencontré Pierre Rabhi !
À l’occasion de la Semaine du développement durable (du 1er au 7 avril) et de l’opération “J’aime ma planète !” le magazine Images Doc emmène ses lecteurs à la rencontre de Pierre Rabhi. Découvrez l’intégralité d’un échange passionnant :
Pour la première fois, Pierre Rabhi a accepté d’être interviewé pour un magazine jeunesse. Comment s’est passée la rencontre ?
Marc Beynié, chef de rubrique du magazine Images Doc : « Remarquablement bien. Pierre Rabhi nous a reçus, chez lui à Montchamp, en Ardèche, ce qui a créé un climat propice pour cet entretien et la prise des photos. L’enquête de Mathis devant paraître dans le numéro d’avril d’Images Doc, sa réalisation a été avancée au mois d’octobre pour que le jardin de Pierre Rabhi ne soit pas en ambiance hivernale.
Mathis avait été identifié pour sa curiosité et son réel intérêt pour les plantes grâce à des amis d’amis. Il vit à Ucel, à une quarantaine de kilomètres de Montchamp. Le jour de l’enquête, il ne connaît Pierre Rabhi que de réputation, car à l’école “son nom est souvent mentionné”.
Le 19 octobre 2013, Mathis et moi nous présentons donc chez Pierre. En nous dirigeant vers la maison, Mathis se raidit. L’enjeu du rendez-vous semble l’intimider. Pierre Rabhi sort nous accueillir et s’adresse à Mathis d’une voix apaisante : “Bonjour Mathis. Alors c’est toi qui t’intéresses à la terre ? C’est bien. Bienvenue à Montchamp.”
Je sens que Mathis respire plus calmement. Les présentations faites, et comme il bruine, nous commençons à travailler dans la maison. La trame du sujet étant déjà tissée, je lance les premières questions. Pierre y répond en regardant Mathis qui l’écoute avec attention. Peu à peu Mathis se décontracte et rebondit avec ses propres questions aux propos de Pierre. Le dialogue s’instaure. Nous le poursuivrons ensuite dans le jardin, quand la bruine aura cessé. »
Agroécologiste passionné et passionnant, Pierre Rabhi s’adresse d’habitude plutôt à des adultes, comment a-t-il fait pour être compris des enfants ?
M. B. : « Pierre s’est préoccupé de son interlocuteur. “Pourquoi t’intéresses-tu à la terre ?”, “Depuis, quand ?” lui demandera-t-il tout au long de la rencontre. Mathis a eu le sentiment de participer à un vrai échange constructif. Le vocabulaire utilisé par Mathis pour formuler ses questions a permis à Pierre d’adapter ses réponses avec un vocabulaire précis mais toujours compréhensible.
Devant le compost, Pierre n’a pas parlé de micro-organismes, de bactéries… mais “de milliers d’êtres vivants minuscules dont le travail est indispensable pour la bonne santé des plantes”. La manière dont Mathis perçoit le compost a déjà changé quand Pierre y plonge la main pour en sortir avec délicatesse un beau ver de terre. Comment ne pas saisir à son tour “ce laboureur qui rejette une terre améliorée” dont Pierre vient de vanter le rôle ?
Cette rencontre nous a aussi permis de vivre des moments imprévus que nous ne pouvions hélas pas tous utiliser pour le reportage. Par exemple, à un moment, nous avons découvert sur le côté d’un des champs une vaste pyramide composée de tous les cailloux retirés des champs de Pierre. “Vous avez retiré tout ça ?” a demandé Mathis impressionné. “Moi, et surtout tous les paysans qui m’ont précédé ici depuis 300 ans ! lui a répondu Pierre. Chaque fois que je viens ici, je pense à eux.”
Pierre a aussi dit à Mathis, alors que nous parlions des graines : “Mathis, je peux t’expliquer comment une graine pousse, mais la seule chose que je ne peux pas te dire c’est pourquoi ça pousse ?” »
De retour à la rédaction d’Images Doc, comment avez-vous travaillé et qu’a pensé Pierre Rabhi du résultat ?
M. B. : « Le lundi dès mon retour au siège de Bayard à Montrouge, j’ai appris par l’équipe de Pierre que la rencontre avec Mathis l’avait “emballé”, qu’il n’avait “pas vu le temps passer” et “que cet exercice très stimulant l’avait obligé à sortir de ses ornières.”
Le travail a alors consisté à reprendre les notes, à sélectionner les photos, à réécrire le scénario en fonction des échanges entre Pierre et Mathis et aussi de retenir et d’intégrer certaines pépites imprévues comme leur échange sur les mauvaises herbes (voir l’article du magazine Images Doc).
Les textes et les photos une fois assemblés, j’ai adressé à Pierre une version électronique du sujet. À Images Doc, comme dans la presse jeunesse, nous sommes très respectueux des propos tenus par les experts avec lesquels nous travaillons. Quatre jours plus tard je recevais juste deux suggestions de modifications et apprenais par son équipe que le résultat était fidèle à notre rencontre et convenait à Pierre.
Cette rencontre m’a marqué. J’ai observé un homme qui écoutait son interlocuteur, qui réfléchissait à ses réponses et dont les propos énoncés avec une économie de mots étaient d’une fluidité et d’une limpidité rares.
Lundi dernier, j’ai trouvé un mot de Mathis dans ma messagerie. En lisant ce qu’il m’écrit, je sais que sa rencontre avec Pierre le marquera pour longtemps. Si notre travail de transcription dans Images Doc de leurs échanges permet à certains de nos jeunes lecteurs de devenir respectueux de la terre, nous en serons très heureux. Pierre aura semé de belles graines. »
Textes et photos de Pierre Rabhi et Mathis : Marc Beynié.