La période inédite que nous venons de vivre nous a tous, d’une manière ou d’une autre, transformés. Dans quel état d’esprit les adolescents en sortent-ils ? Le magazine Phosphore publie les témoignages de douze garçons et filles, âgés de 14 à 18 ans.
“J’ai laissé place à l’ennui, qui fait ressurgir les sensations”
“Le confinement m’a offert un cadeau merveilleux : la possibilité de me rappeler de ce qui importe vraiment. Cet arrêt forcé a résonné comme un appel à renouer avec moi-même, à réfléchir au sens que je veux donner à la vie. J’ai redécouvert les plaisirs du sport, du temps qui n’a plus d’emprise, des découvertes gustatives. Confrontée à l’angoisse de la mort et de l’incertitude, j’ai réévalué l’importance de chacune de mes actions. Les sourires, les heures ensoleillées à la fenêtre, les échanges avec les voisins, ont pris une tout autre saveur, tandis que le stress de l’école, des soirées ou des parents énervés s’est peu à peu dissipé. En nous contraignant à prendre la pause à laquelle nos vies effrénées n’avaient pas le temps de penser, ce virus a enraciné chez mes amis et moi la certitude qu’on peut imaginer un autre monde, plus centré sur ce qui importe réellement, dans le respect de nous-mêmes, des autres et de tous les êtres vivants.” Manon, 17 ans.
“J’ai compris qu’on pouvait faire les choses autrement”
“Le 7 avril, j’ai fêté mes 16 ans, confinée. Au départ, ça me rendait triste de ne pas pouvoir être avec mes amis ce jour-là. Mais le soir, mes parents ont eu la brillante idée d’organiser un appel en visio avec ma famille. Il y avait tout le monde, du côté de mon père et de ma mère : cousins, cousines, oncles et tantes, grands-parents… Même ceux qui ne se rencontrent jamais ! Ça m’a fait chaud au cœur de souffler mes bougies en étant si bien entourée. Ça m’a permis de me rapprocher de certaines personnes. Par exemple, mes grands-parents habitent loin, donc sans confinement, on se serait juste appelés comme d’habitude. Cette expérience m’a montré qu’on peut faire les choses autrement, et se concentrer sur les côtés positifs. Pendant cette période, j’ai aussi eu beaucoup plus d’autonomie : pour la première fois, j’ai organisé moi-même mon planning, pour rendre les devoirs demandés par mes profs, faire un peu de sport… Ça m’a fait grandir.” Océane, 16 ans.
“Chanter pour mes voisins m’a rapprochée de ma famille”
“J’habite dans une rue du XXe arrondissement, à Paris. Un soir au début du confinement, après avoir applaudi les soignants, mon père m’a proposé de chanter pour les voisins. J’ai chanté à voix nue, avec ma guitare. Les gens sont restés aux fenêtres, m’ont écoutée et m’ont même applaudie, j’étais surprise ! Le lendemain, on s’est davantage organisés : j’ai installé un micro et un amplificateur. Un rituel s’est installé. Je chantais deux chansons par soir, la première en français, Brel, Barbara, Angèle, ou Lomepal par exemple, l’autre en anglais ou dans une autre langue. Mon père m’a parfois accompagnée à la guitare. D’autres fois, c’était ma sœur, au piano. Ma mère filmait nos chansons. Parfois nous nous disputions car ce rendez-vous quotidien créait une forme de pression. Mais ce chouette projet familial nous a appris à mieux communiquer entre nous. Cette expérience m’a aussi confortée dans l’idée que j’aime chanter en public. Bon, je garde les pieds sur terre : la guitare restera pour moi un loisir, je vais me concentrer avant tout sur le bac et sur mes études supérieures. Mais j’ai beaucoup aimé ces moments d’échanges avec ma famille et les habitants de ma rue.” Léa, 17 ans.
“L’entraide et la solidarité se sont révélées dans ma classe”
“Ce qui m’a le plus marqué dans ce confinement, c’est la solidarité avec les élèves de ma classe. Nous avions déjà un groupe WhatsApp. Là, il s’est mis à crépiter. On s’est échangés des liens, nos fiches de révisions, des conseils… Même ceux qui, pendant l’année, avaient l’habitude de sécher se sont révélés hyper à fond. Sans cette entraide, je n’aurais jamais réussi à abattre tout le travail demandé ou à pallier l’absence de certains profs. Je pense qu’on se souviendra longtemps de ce confinement. Et des camarades avec qui on l’a traversé.” Aram, 16 ans.
“J’ai fabriqué plus de 200 masques par semaine pour les soignants”
“Le confinement a été l’une des périodes les plus intenses de ma vie. Très vite après l’annonce de la fermeture des écoles, je suis tombé sur Internet sur des plans pour fabriquer des visières de protection avec une imprimante 3D. Je suis passionné d’informatique et j’ai une imprimante dans ma chambre, je me suis donc lancé dans la production de visières, que j’ai livrées à l’hôpital près de chez moi. Ils étaient tellement contents en me voyant arriver ! Ça m’a encouragé à continuer. Grâce au soutien de mes profs et de la principale, j’ai pu récupérer l’imprimante 3D de mon collège. En une semaine, j’ai produit 200 masques. On s’est ensuite organisés avec ma famille pour que tous les jeunes qui ont accès à une imprimante 3D puissent eux aussi contribuer, chacun dans leurs villes. Ça leur a montré que c’était possible d’aider les soignants ! Nous avons créé un site Internet (3d4better.org), et lancé une cagnotte pour acheter la matière première (plastique…) Beaucoup de journalistes ont parlé de nous. Des jeunes de toute la France nous ont contactés pour nous demander des conseils techniques ! Toute cette effervescence nous a donné de l’énergie, avec ma famille. Alors que la période était plutôt angoissante, je me suis senti plus actif et utile qu’avant. Fabriquer des masques m’a aussi appris à m’organiser, à présenter un projet de façon claire. Maintenant, je n’ai plus trop la tête aux cours… Il y a toujours besoin de masques pour protéger la population, donc on continue à produire et à conseiller ceux qui veulent se lancer. Le maire du XIIIe arrondissement à Paris, qui a le projet d’ouvrir un Fablab (un lieu consacré au bricolage et au numérique) m’a proposé de participer à la gestion du lieu. J’ai dit oui. Je vais continuer à m’intéresser à l’impression 3D, c’est sûr !” Roméo, 14 ans.
“Le confinement m’a appris à être moins scolaire”
“Très active pendant le confinement, notre prof d’histoire-géo et de géopolitique nous a proposé une nouvelle façon d’étudier. Elle nous a fait travailler sur l’actualité, en écrivant des articles sur des sujets de notre choix ou encore en tenant un journal du confinement. On n’a au final pas beaucoup avancé sur le programme. Mais j’ai appris à être plus autonome, moins scolaire et à penser davantage par moi-même. J’aimerais plus tard intégrer Sciences Po et devenir journaliste, cette expérience m’y aidera, c’est sûr.” Cyrus, 16 ans
“J’ai retrouvé l’énergie pour écrire”
“Bien installée chez moi avec ma famille, j’ai retrouvé le temps et la détente nécessaires pour retrouver mon monde imaginaire et me remettre à écrire. Poèmes, nouvelles, pièce de théâtre, roman, j’ai beaucoup de projets en cours, que j’ai délaissés depuis mon passage en Première cette année. Cette période m’a offert du temps, et inspirée. J’ai ressenti plus que d’habitude le besoin de mettre mes pensées sur le papier. J’ai notamment écrit un sonnet sur le confinement, que mon père a fait suivre à toute la famille, alors même que j’ai du mal à partager mes textes en temps normal. Le matin entre deux devoirs ou le soir après avoir passé des moments en famille, j’ai avancé sur mon projet de roman, commencé au collège. L’action se passe en 1822. L’héroïne principale y fait face à plusieurs reprises à la mort et à la maladie. Le confinement m’aura au final appris à me concentrer sur les choses importantes, comme l’écriture. Avec l’entrée en Terminale l’année prochaine, je risque d’avoir beaucoup de travail. Mais je sais déjà que je laisserai une place pour écrire.” Clarence, 15 ans.
“J’étais si soulagée quand j’ai retrouvé ma famille”
“Lors des premières mesures prises en France, j’étais loin de ma famille, dans une ville voisine de New York, pour un échange d’un an. Aux États-Unis, la réaction à l’arrivée de la pandémie a été assez tardive… Jusqu’à ce que Donald Trump annonce la fermeture des frontières. Je me suis vue passer tout le confinement à New York, loin de ma famille. L’horreur ! Mes parents ont finalement réussi à organiser mon retour le 22 mars. J’ai été très soulagée de retrouver ma famille. J’ai continué à suivre quelques-uns des cours envoyés par mes profs américains. Mais c’était difficile de se motiver en étant à distance et en décalage horaire. D’autant plus que je savais déjà qu’il me serait impossible de passer le bac américain, et donc de valider mon année. Passer un an aux États-Unis était pour moi un rêve. J’ai beaucoup appris, je me suis fait de nouveaux amis, ça m’a donné envie de découvrir d’autres pays. Mais cette fin brusque a été traumatisante. J’espère qu’on pourra de nouveau voyager bientôt…” Julie, 17 ans.
“Je veux m’engager dans la santé”
“Pendant le confinement, des amis voulaient partir en soirée en cachette. On a eu de grosses disputes, mais je leur ai fait prendre conscience de la gravité de la situation. Des soignants dans mon entourage m’ont raconté leur fatigue, leurs galères… Je me suis sentie impuissante, car la seule chose que je pouvais faire, à part les encourager de loin, était de rester chez moi. Au départ, je voulais m’orienter vers une filière artistique, mais maintenant j’ai plutôt envie de m’engager à leurs côtés. Comme les sciences ne sont pas mon truc, je pense par exemple travailler dans la communication, pour faire comprendre à quel point la santé est importante.” Kyandi, 17 ans.
“J’ai couru un marathon dans mon jardin”
“Le 5 avril, j’étais inscrit pour courir le marathon de Paris, mon premier. Je courais pour l’association Mécénat Chirurgie cardiaque, qui soigne des enfants ayant une malformation cardiaque. J’ai donc décidé de courir le marathon le jour prévu, mais seul et dans mon jardin, en banlieue parisienne. Les deux premières heures, ça allait. Mais après 2h40, je me suis demandé ce que je faisais là à courir entre les arbres de mon jardin, j’étais épuisé, je voulais arrêter. Et puis je me suis rappelé les trois mois d’entraînement pendant l’hiver. J’ai aussi pensé aux enfants soutenus par l’association. Ma famille m’a encouragé. Je suis finalement reparti et j’ai terminé les 42,195 kilomètres après 3h45 d’effort ! 5000 € ont été récoltés grâce à ma course. De ce marathon confiné, j’ai appris à être plus fort, à gérer mon mental, à puiser dans mes ressources pour me dépasser. L’an prochain, je suis bien décidé à retenter l’expérience. En courant cette fois dans les rues de Paris !” Mathis, 18 ans
“Confinée dans un foyer, je voulais juste fuir l’ennui”
“J’étais confinée dans une MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social, qui accueille des mineurs en difficulté ndlr). Pendant deux mois, je n’ai pas du tout vu mes proches, puisqu’on ne pouvait pas sortir les week-ends. J’ai passé beaucoup de temps à me maquiller et à faire des vidéos de danse. J’adore inventer des chorégraphies, j’ai dansé énormément pour ne pas perdre le rythme. Je voulais à tout prix fuir l’ennui car cela me faisait trop penser à ma situation, à ma grand-mère qui a plusieurs maladies. J’avais très peur de la perdre car, comme ma mère, elle est tout pour moi. Je n’avais qu’une envie : revoir ma grand-mère et ma sœur. Je n’ai pas tant changé je pense pendant ce confinement, je voulais juste que ça se finisse vite, retrouver ma vie d’avant.” Esther, 17 ans.
“Je veux faire quelque chose de mon indignation”
“Je souhaiterais devenir prof d’Histoire et géographie et pendant le confinement je me suis longuement imaginé en train d’expliquer à mes élèves la crise du coronavirus (ses conséquences environnementales, économiques, politiques…) Tout cela risque d’entrer dans l’Histoire ! Inconsciemment, je me croyais protégé de ce type de crise, vivant en France et au XXIe siècle. Après avoir vu à la télé l’épidémie Ebola en Afrique, je croyais que cette menace touchait surtout les pays du Sud. Cette sensation d’inversion des choses est arrivée à son paroxysme quand certains pays d’Afrique ont fermé leur frontière face aux Italiens qui fuyaient le virus. On dit souvent que “les Européens doivent accueillir les réfugiés car ils pourraient être dans la même situation un jour”, on a là l’exemple que ça peut arriver. Malheureusement, cette crise a violemment renforcé l’idée que je me faisais du monde. J’avais déjà conscience du manque de moyens accordés au service de santé mais j’ai d’autant plus compris les revendications des soignants depuis des années : saturation des hôpitaux, épuisement des professionnels, problèmes matériels avec la pénurie de masques et de médicaments… Cela a aussi été une piqûre de rappel sur les inégalités sociales actuelles. Par exemple, je ne décolère pas de voir qu’on a mis en danger les travailleurs les moins bien payés, comme sur les chantiers. Je veux faire quelque chose de cette indignation que j’ai ressentie, en m’engageant dans une association pour aider les plus démunis. Enfin, le confinement m’a permis de m’aérer l’esprit pour rêver d’autre chose que de réussite scolaire. Sans idéaliser cette période, j’ai pu oublier les notes et le bac pour prendre du recul, et me demander quelles relations sociales me sont les plus chères. Au lycée, j’ai beaucoup de connaissances qui ne sont pas des amitiés très fortes. Voilà en quoi mes rêves ont changé : je sais mieux autour de quelles relations je veux bâtir ma vie.” Louis, 16 ans.