Le harcèlement est toujours présent au lycée. Il peut prendre différentes formes et souvent les victimes ne savent pas qu’elles en sont. À l’occasion de la Journée de lutte contre le harcèlement, le 9 novembre, Phosphore a concocté un outil et des points de repère pour aider vos ados à identifier ces violences afin de mieux les combattre. N’hésitez pas à partager cet article !
Le harcèlement ne se voit pas toujours, il ne passe pas uniquement par des insultes ou des coups, et encore moins au lycée : c’est ce qui le rend difficile à détecter. Cet outil va t’aider à repérer les élèves en situation de harcèlement. Et avec l’appui de la chanteuse Tessae, du psychiatre Jean-Victor Blanc et d’Audrey Llamas, la coordinatrice de la ligne d’écoute 3020, on te conseille pour y faire face, pour aller chercher de l’aide et ne pas rester seul·e.
Le détecteur de harcèlement du magazine Phosphore
Parmi les affirmations suivantes, y a-t-il une ou plusieurs situations vécues par toi ou un·e élève de ta classe ?
- Les différents groupes de la classe aiment dire qu’ils intègrent cet·te élève mais dans leurs discussions, c’est toujours sur lui/elle que les vannes tombent.
- Même quand il/elle fait un truc bien (un arrêt au foot, par exemple), les réactions de la classe sont différentes pour lui/ elle, démesurées (son arrêt déclenche une ola, par exemple).
- Quand il/elle poste une story, la grande blague collective, c’est de lui envoyer des émojis vomi.
- Il/elle est ouvertement moqué.e dès qu’il/elle a une nouvelle tenue ou qu’il/elle change de coupe de cheveux
- Tout le monde compte sur lui/elle (pour lui demander les cours, par exemple) mais personne ne l’aide quand il/elle est en galère.
- Les blagues le/la ramènent sans cesse à une différence : un centre d’intérêt moins commun ou moins populaire, une particularité physique, une façon d’être ou de s’exprimer, son orientation sexuelle, sa religion. Et quand il/elle fait remarquer que ça le/la blesse, la réaction est toujours la même : “Oh, c’est bon, c’est pour rire !”
- Quand il/elle prend la parole, il y a toujours des petites réactions que le prof ne voit pas mais que toute la classe capte.
- Dans les groupes WhatsApp ou Insta, il arrive qu’une conversation privée soit screenée pour être montrée et commentée par tous.
- Un midi, son assiette à la cantine a été remplie de déchets, il/elle n’a pas pu manger.
Retrouve ci-dessous ces affirmations commentées et analysées par nos intervenants.
« J’aurais voulu qu’on me dise : “Ce n’est pas normal.” »
Tessæ, chanteuse, ex-victime de harcèlement, autrice du livre Frôler les murs
- Les différents groupes de la classe aiment dire qu’ils intègrent cet·te élève mais dans leurs discussions, c’est toujours sur lui/elle que les vannes tombent.
Tessæ : Ce harcèlement est plus dur à repérer parce qu’on imagine que les personnes harcelées sont isolées. Moi aussi, j’avais des amies, et c’était elles qui me harcelaient. Dans ce groupe, j’étais celle dont on se moquait ouvertement parce que je m’habillais différemment, je ne m’épilais pas, je ne me maquillais pas, j’étais rêveuse, dans mon monde…
Tout ça te fait croire que tu es inférieure parce que tu n’es pas comme les autres. Si j’avais pu me donner un conseil à cette époque, je me serais dit de ne pas avoir peur de couper les amitiés qui ne me faisaient pas du bien. J’aurais voulu qu’on me dise : “Ce n’est pas normal, ce n’est pas sain, ne traîne pas avec des gens dont tu crains les moqueries.” Mais pour pouvoir réagir, il faut déjà avoir conscience de ce qu’on vit.
- Même quand il/elle fait un truc bien (un arrêt au foot, par exemple), les réactions de la classe sont différentes pour lui/ elle, démesurées (son arrêt déclenche une ola, par exemple).
Tessæ : Les filles qui me harcelaient m’invitaient à leur anniversaire. C’est difficile de prendre conscience du harcèlement quand les signaux sont ambigus : on t’intègre et on te rejette à la fois. Tu ne sais pas comment réagir, tu en viens à te dire que ça doit être de ta faute. Il y a aussi toutes ces remarques qui peuvent paraître anodines mais quand tu connais le ton sur lequel elles sont prononcées et l’historique de la relation, tu sais que c’est déplacé.
Je ne me suis jamais rendu compte que je vivais du harcèlement au moment où je le vivais, ce sont des médecins qui me l’ont dit plus tard. Je n’en parlais pas, j’avais appris à être honteuse de moi. On peut penser que ce n’est pas grave la honte, mais à l’adolescence, ça peut prendre toute la place dans votre vie.
- Quand il/elle poste une story, la grande blague collective, c’est de lui envoyer des émojis vomi.
Tessæ : Le cyberharcèlement touche tout autant, ce n’est pas moins grave parce qu’il y a un écran. Ça peut même être pire quand les personnes se servent de l’anonymat pour aller encore plus loin dans les insultes. Mais même sur des stories, on peut faire des captures d’écran. Ce sont des preuves qu’on peut montrer aux adultes en qui on a confiance : un parent, un surveillant, un CPE. Et quand on est témoin, on peut agir.
Au lycée, si les personnes qui me harcelaient n’avaient pas été approuvées par les rires des autres, ça aurait changé les choses. Si une personne était venue s’excuser d’avoir ri ou m’avait juste demandé comment j’allais, ça m’aurait aidée.
« L’isolement génère un stress sur le cerveau »
Jean-Victor Blanc, psychiatre, expert en santé mentale pour les ados, créateur du compte @culturepopetpsy. Il organise également le festival Pop & psy, du 24 au 26 novembre, à Paris, pour parler de santé mentale autour d’experts, d’artistes et de personnalités.
- Il/elle est ouvertement moqué.e dès qu’il/elle a une nouvelle tenue ou qu’il/elle change de coupe de cheveux.
Jean-Victor Blanc : C’est toujours une différence, pointée du doigt, qui est à l’origine du harcèlement. À l’adolescence, on manque de modèles d’émancipation donc c’est difficile de ne pas être atteint par ces moqueries. On peut être touché dans sa confiance en soi, développer des complexes corporels qui peuvent durer longtemps.
Par exemple, un garçon efféminé qui va se faire harceler pour ça, pourra essayer de compenser en surperformant sa masculinité, en se mettant à fond dans la musculation. Cela entraîne toujours une mauvaise image de soi. Donc oui, le harcèlement marque un individu, même si aujourd’hui on trouve des modèles et des communautés qui aident à se détacher de normes rigides, qui amènent d’autres représentations, à travers les réseaux sociaux notamment. Tout d’un coup, une jeune queer, un ado en surpoids n’est plus seul·e, et ça change tout.
- Tout le monde compte sur lui/elle (pour lui demander les cours, par exemple) mais personne ne l’aide quand il/elle est en galère.
Jean-Victor Blanc : Globalement, les études montrent que l’isolement est toxique pour la santé mentale car le fait de se sentir exclu génère un stress sur le cerveau. Ça fait partie des facteurs qui peuvent entraîner des épisodes dépressifs ou des idées suicidaires quand on accumule l’isolement, les déceptions… C’est ce que montre la série 13 Reasons Why.
Mais je voudrais aussi dire aux lycéens que les choses s’améliorent après, notamment quand on entre dans la vie étudiante. On voit tous ces parcours de personnes qui subliment leurs différences, qui deviennent valorisées à l’âge adulte. Le harcèlement est un sujet dramatique mais je pense que ça aide de savoir qu’on en sort, et qu’on peut même en faire quelque chose.
- Les blagues le/la ramènent sans cesse à une différence : un centre d’intérêt moins commun ou moins populaire, une particularité physique, une façon d’être ou de s’exprimer, son orientation sexuelle, sa religion. Et quand il/elle fait remarquer que ça le/la blesse, la réaction est toujours la même : “Oh, c’est bon, c’est pour rire !”
Jean-Victor Blanc : La personne harcelée est celle qui ne rentre pas dans le moule, qui ne fait pas comme les autres, parce qu’elle ne le peut pas pour des raisons psychiques (des aspects de sa personnalité), ethniques (ses origines), socioculturelles (le milieu d’où elle vient, les codes sociaux)… Mais le harcèlement enferme aussi les personnes qui harcèlent : elles s’intègrent dans le groupe en excluant quelqu’un mais elles se piègent en même temps, car elles ne peuvent plus assumer leurs propres différences.
Et le fait de dire que c’est pour rire permet de ne jamais entendre la parole de la personne harcelée. Alors qu’elle a raison, il faut qu’elle parle, qu’elle essaie de se tourner vers quelqu’un de confiance. Le risque sinon, c’est d’intérioriser, de se persuader qu’elle le mérite et que le groupe a raison. Il ne faut pas rester seul·e !
« Il faut agir le plus vite possible en mettant un adulte dans la boucle »
Audrey Llamas, écoutante et coordinatrice du 3020, le numéro d’aide contre le harcèlement.
- Quand il/elle prend la parole, il y a toujours des petites réactions que le prof ne voit pas mais que toute la classe capte.
Audrey Llamas : Le harcèlement, c’est de la violence répétée à l’égard de quelqu’un. Ce n’est pas uniquement des coups ou des insultes. Ça peut être des moqueries un jour, des affaires volées un autre… C’est pour ça qu’il est difficile à détecter. Un surnom peut sembler anodin à un professeur. Mais s’il a déjà été prononcé dans un autre cours, qu’il a fait rire la classe et qu’il est repris pour blesser l’élève, il renvoie à une violence vécue.
L’élève harcelé·e perd confiance en lui/elle, c’est comme s’il se consumait face à la loi du silence et la loi du plus fort. Donc il faut agir le plus vite possible en mettant un adulte dans la boucle. Parce que seul, on peut décider de ne pas participer aux moqueries mais il y a des dynamiques de groupe, avec les populaires, les geeks… Et c’est dur d’aller contre son groupe ou contre le groupe populaire. Les adultes sont là pour le faire.
- Dans les groupes WhatsApp ou Insta, il arrive qu’une conversation privée soit screenée pour être montrée et commentée par tous.
Audrey Llamas : On constate que le harcèlement qui a lieu la journée au lycée se poursuit sur les réseaux le soir et le week-end. Les élèves qui harcèlent ou participent au harcèlement ne voient pas la portée de leurs actes : ils rigolent cinq minutes et passent à autre chose, quand pour la victime c’est une énième attaque qui renforce sa détresse. Le harcèlement et le cyberharcèlement ne sont pas juste mal, mais interdits par la loi. Ces délits sont punis jusqu’à 10 ans de prison et 150 000 € d’amende.
- Un midi, son assiette à la cantine a été remplie de déchets, il/elle n’a pas pu manger.
Audrey Llamas : On voit comme le harcèlement peut prendre plein de formes et repousser des limites. Qu’on soit victime ou témoin, il faut parler à un adulte : le CPE, un parent, tout adulte de confiance. Les lycéens peuvent aussi appeler le 3020, c’est une ligne d’aide dédiée aux situations de harcèlement, anonyme et gratuite. Il faut que la situation soit signalée au proviseur qui peut prendre des mesures : sanctions disciplinaires à l’encontre de l’agresseur, inscription du harcèlement dans son dossier scolaire, changement de classe ou d’établissement…
Si rien n’est fait, le 3020 peut interpeller les référents académiques qui sont des experts du harcèlement scolaire. On encourage à aller à la gendarmerie ou au commissariat, à constituer un dossier qui récapitule tout ce qui s’est passé. Il faut agir à tous les niveaux parce que, derrière le harcèlement, il y a de vrais traumatismes, des troubles du sommeil, de l’alimentation, de la concentration et donc souvent, une chute des résultats scolaires. Au 3020, on redirige aussi vers les Maisons des Adolescents pour que la victime puisse parler avec un psychologue, que sa souffrance soit prise en charge.