Protection sanitaire, déguisement… : un masque cache ou modifie grandement l’expression du visage. Quelles conséquences cela peut-il avoir pour un tout-petit qui apprend à parler et construit son identité ? Décryptage et conseils du magazine Popi.
Mauvaise surprise…
Elle est aujourd’hui lycéenne. Mais elle se souvient encore de ce jour où sa mère, sa maman chérie, auteure de ces lignes, s’était retournée vers elle, masque de fée sur le visage façon “Surpriiiiise !” La petite fille, même pas 3 ans à l’époque, avait poussé un hurlement de terreur, à la stupéfaction de ses jeunes parents qui croyaient l’amuser.
Même type de souvenir chez Fabien : il s’était fait une joie d’amener son fils à son premier spectacle, une adaptation des Trois Petits Cochons pour les tout-petits. Les comédiens, coiffés de têtes de cochons en papier mâché rose, étaient à peine montés sur scène que le jeune spectateur avait enfoui son visage dans l’épaule de son papa en criant. Impossible de le calmer… Il avait fallu quitter la salle.
La crainte de l’inconnu
Ces réactions ne surprendront aucun professionnel de la petite enfance. Il n’est d’ailleurs pas rare, à la crèche ou à la maternelle, que les enfants refusent de porter le masque et le déguisement confectionnés avec tant d’application pour la fête du carnaval… Logique : qu’il s’agisse d’un déguisement ou d’un élément de protection sanitaire, un masque efface, atténue ou modifie l’expression du visage de celui qui le porte, voire – dans le cas du déguisement – son identité. Déroutant, à un âge où on est précisément en train de construire sa propre identité et ses repères !
Multiplier les interactions
On comprend l’inquiétude des équipes de crèche qui, avec la crise sanitaire, doivent porter le masque. Lucile Commarmond, qui dirige une micro-crèche à Limonest (69), demande aux membres de son équipe d’accueillir les petits d’abord de loin, en baissant le masque, pour que les enfants les reconnaissent. Elle met aussi l’accent sur le regard et la parole : “Dans le regard, la voix et les mots, on peut faire passer beaucoup de choses. L’accueil des enfants doit rester jovial, joyeux, de manière à ce que le masque soit oublié au plus vite.”
En amont, les parents ont été invités à expliquer à leur enfant pourquoi les adultes devaient porter un masque. De fait, comme pour toutes les “premières fois”, anticiper le contexte permet à l’enfant, même très jeune, de s’adapter plus rapidement. Cela vaut aussi pour un spectacle, une fête déguisée, dont on peut décrire à l’enfant le déroulement : “Il fera peut-être noir dans la salle, sur la scène, les gens feront semblant d’être des personnages pour nous raconter une histoire.”
Faisons-leur confiance !
Les inflexions de la voix, l’accentuation des mimiques ou des gestes, compensent aussi la dissimulation de la bouche ou des yeux. Le jeu du “Coucou-caché” remplit à point nommé sa fonction de réassurance. Et surtout, faisons confiance aux enfants : “L’être humain est beaucoup plus flexible qu’on ne le croit”, assure Olivier Pascalis. Ce chercheur au CNRS dirige le Babylab au sein de l’université Grenoble Alpes, et étudie les liens entre acquisition du langage et perception des visages.
“Les enfants malvoyants apprennent à parler sans avoir le soutien du regard, précise-t-il. De même, on ne prévient pas les petits quand on met une cagoule ou un bonnet. Le masque n’est pas insurmontable.” Attention toutefois : une maman ou un papa transformés en fantômes sans prévenir, ça peut laisser des traces… !
Ce que notre visage dit à l’enfant
Lorsqu’une partie du visage est dissimulée ou figée, l’expressivité faciale diminue et la communication (langagière et émotionnelle) s’en trouve entravée. A fortiori pour un bébé ou un tout-petit, qui n’a pas encore pleinement acquis la parole : les seuls mots ne lui suffisent pas, chaque élément du visage a son importance. Olivier Pascalis résume : “Plus l’enfant a d’indices, plus ce sera facile pour lui de comprendre le message exprimé. Si un indice disparaît, sa compréhension se ralentit.” Décryptage.
Cette tête qu’il identifie
Le jeune enfant reconnaît plus aisément un individu par sa tête entière que par son seul visage. Quand quelqu’un porte un chapeau, une écharpe, l’enfant, même jusqu’à 5-6 ans, a plus de mal à le reconnaître.
Ces yeux qu’il suit
Le mouvement des yeux est important pour la compréhension orale. S’adressant à un tout-petit, l’adulte pointe spontanément du regard les objets dont il parle. Le fait de regarder ou ne pas regarder quelque chose donne une information à l’enfant. Les yeux autorisent, interdisent, mettent en garde, encouragent.
Cette bouche qu’il regarde
La bouche offre une information audiovisuelle. Pour distinguer certains sons et apprendre à les émettre, l’enfant repère le mouvement des lèvres. Si elle est masquée, c’est plus difficile. Les adultes porteurs de lunettes en font l’expérience : sans lunettes, ils ont l’impression de… moins bien entendre ! À noter, le mouvement de la bouche est similaire pour la peur et la surprise : les yeux – et le son ! – permettent alors au tout-petit de les distinguer.