Dans son numéro du 15 octobre 2014, le magazine Astrapi a choisi d’expliquer aux enfants de 7 à 11 ans comment on fait les bébés. Au programme, amour et sexualité. Le tout à hauteur d’une tranche d’âge tiraillée entre envie de savoir et pudeur.
« Papa, c’est quoi cette bouteille de lait ? Papa, comment on fait les bébés ? » Qui a oublié cette célèbre publicité dans laquelle un papa, songeur au petit-déjeuner, était soudain paniqué à l’idée de devoir expliquer à son fils la procréation… et donc la sexualité ?
Aujourd’hui, rares sont les parents qui parlent encore de roses, de choux ou de cigognes. Beaucoup de familles abordent désormais avec davantage de facilité et d’ouverture les questions sexuelles. Et pourtant… pas toujours facile d’adapter ses explications à un enfant de 7 ou 10 ans.
Faut-il tout dire ? Jusqu’où aller dans l’explication ? Au fond, qu’est-ce qu’un enfant de cet âge a réellement envie de savoir ? Pour être le plus pertinent possible vis-à-vis de nos lecteurs, Lucie Tourette, la rédactrice de ce dossier, a travaillé avec plusieurs professionnels de l’enfance, dont Catherine Jousselme, professeur de pédopsychiatrie et auteur de Comment aider son enfant à bien grandir (éd. Milan).
Entre 7 et 11 ans : tout un monde !
Astrapi s’adresse aux enfants de 7 à 11 ans. Une tranche d’âge au cours de laquelle de nombreux changements physiques se produisent. À 7 ans, on est un enfant. À 11 ans, la puberté commence à poindre. Les plus jeunes sont extrêmement pudiques : c’est l’âge où ils ferment les yeux et lâchent des « Beurk » dégoûtés devant un baiser échangé (à l’écran ou dans la vraie vie). Les plus âgés de nos lecteurs sont déjà en recherche d’information sur leur corps qui change ou va changer, sur leur sexualité, sur la question du plaisir…
C’est aussi l’âge où garçons et filles s’interrogent beaucoup sur leur normalité… y compris celle de leur sexe : est-il trop petit, trop grand, tordu, bizarre, de la bonne couleur ? Une angoisse à côté de laquelle nous serions sans doute passés si nous n’avions pas interrogé des spécialistes qui ont l’occasion d’aborder quotidiennement ce type de questions avec des enfants. En pleine période de latence, il convenait en tout cas de ne pas heurter leur pudeur, tout en répondant à leurs interrogations profondes.
Nous avons donc choisi de leur présenter une « base » à partir de laquelle chaque enfant pourra construire sa propre représentation. Notre message principal étant celui-ci : « Oui, la sexualité est un sujet dont on peut parler. » Nous les invitons même, s’ils le souhaitent, à lire le dossier avec leurs parents.
Il existe de nombreux livres jeunesse sur la sexualité. Un livre, on décide de l’acheter en librairie : on peut le feuilleter avant et décider si, en tant que parents, on se sent à l’aise ou pas avec le contenu avant de le donner à son enfant.
Astrapi, lui, arrive par la poste abordant à chaque fois un sujet différent. Il s’invite dans la sphère familiale et cela change la donne. Il nous semble essentiel de parler sexualité à nos lecteurs car cela rejoint des questions très fortes que les enfants ont à cet âge-là : « Comment j’étais avant de naître ? Comment serai-je quand je serai adulte ? Comment on fait les bébés ? » Mais le sujet touche à l’intimité de chacun et renvoie à des vécus différents selon les histoires personnelles. Il importait donc que chacun y trouve son compte, parents comme enfants.
Une histoire d’amour
Pour cela, nous avons choisi de raconter une histoire d’amour singulière : celle de Jérémy et Nadia et de l’arrivée de leur bébé, Léo. Le dossier s’ouvre sur la rencontre du jeune couple et leur vie quotidienne : l’un aime faire des gâteaux, l’autre jouer au basket ; tous deux aiment rire ensemble. Et c’est de cette complicité que peu à peu, naîtra leur envie d’avoir un enfant ensemble. Accompagné d’illustrations tendres, l’objectif de cette démarche est de replacer l’enfant à venir dans une histoire qui lie amour et sexualité.
Cette histoire est forcément différente de celle des parents du lecteur, mais nous espérons qu’elle leur donnera à tous l’occasion d’évoquer leur propre histoire. Un récit que les enfants ont besoin d’entendre, puisqu’il est à l’origine de leur naissance.
Jusqu’où montrer ?
Pas question de parler de sexualité sans montrer des corps nus. Le dossier montre donc Nadia et Jérémy enlever leurs vêtements pour s’enlacer. Il présente également, dans une partie plus documentaire, les corps d’un homme et d’une femme. Pas de gros plans des organes génitaux isolés du reste du corps, mais juste de quoi couper court aux idées fausses ! Au final, la rédaction a eu peu de débats sur ce point.
En revanche, nous nous sommes heurtés à d’autres interrogations. La représentation de l’accouchement nous a par exemple beaucoup questionnés. Comment représenter la naissance, moment où un être humain (le bébé) sort d’un autre être humain (la mère). Quoi de plus naturel et en même temps… quoi de plus impressionnant ? Quel plan adopter pour que l’enfant comprenne sans pour autant être choqué ? Comment les adultes qui accompagneront l’enfant dans sa lecture recevront-ils une telle image ? Faut-il être réaliste ou allusif ?
Pour respecter les différents degrés de maturité des enfants ainsi que la variété des histoires familiales, nous avons finalement fait le choix d’une représentation pudique. À chaque parent ensuite de compléter comme il l’entend ces informations auprès de son enfant.
L’égalité homme-femme
Une psychologue, qui intervient régulièrement en école depuis la maternelle jusqu’au lycée, nous a également sensibilisés à la question de l’égalité. On dit par exemple souvent aux garçons qu’ils « ont un zizi » et aux petites filles qu’elles « n’ont pas de zizi ». De nombreux enfants en déduisent que les garçons sont supérieurs aux filles du fait de leur corps (ils auraient quelque chose que les filles n’auraient pas).
Nous avons donc eu à cœur de parler à parts égales de l’homme et de la femme, de les montrer dans un rapport égalitaire : que ce soit au moment de l’acte sexuel où ils sont représentés enlacés côte à côte sans symbolique de « domination » ou dans leur choix partagé d’adopter une contraception.
« Comment on fait les bébés » est donc un dossier qui s’inscrit au cœur de notre projet : celui d’éveiller les enfants, d’accompagner leurs questionnements et de susciter des discussions en famille.
Gwénaëlle Boulet, rédactrice en chef d’Astrapi