Pour la rédaction du magazine Phosphore, en matière de prévention, rien ne remplace un témoignage. Elle a donc choisi, pour son numéro du 1er juin, de rencontrer Tiphaine Lever, 18 ans, victime de harcèlement au lycée. L’écriture a permis à la jeune fille de surmonter l’épreuve, et son histoire, récemment publiée, a été lue par plus d’un million de lecteurs. Son récit rappellera aux victimes l’importance de parler et la force de la résilience. Il pourra aussi atteindre ceux qui risqueraient un jour, par peur ou par paresse, de basculer du côté des harceleurs. Nous vous proposons de lire cet article en intégralité.
Le témoignage de Tiphaine Lever
Quand je débarque au lycée, je me sens comme une petite nouvelle. L’établissement est immense, mes amis sont tous dispatchés dans d’autres classes… Je sympathise rapidement avec quelques personnes. Mais très vite, je me fais aussi des ennemis : trois garçons qui n’apprécient pas ma manie de participer en cours. Il y en a un, surtout, qui entraîne les deux autres : un mec populaire, lui aussi bon élève. Je me dis qu’il est peut-être jaloux… Mes nouveaux copains ont d’autres théories : et si je lui plaisais ? Ils sont loin du compte. Il me prend en grippe et les choses ne font qu’empirer…
Ce garçon me suit partout, me fixe longuement en cours… Un jour, lui et ses copains m’arrachent mon téléphone et m’obligent à leur donner mon numéro, sans raison. Au self, je me prends des boulettes de pain sur la tête. Je me sens traquée… Et je n’ai que les toilettes où me réfugier.
Au bout d’un mois, je me décide à en parler à des adultes. Mes parents d’abord, puis la CPE. Elle prend le problème au sérieux et convoque tout de suite les trois garçons. Mais elle se montre si sévère qu’ensuite, c’est toute la classe qui se retourne contre moi, mes nouveaux copains compris. Intenable. Avec l’aide du principal, je change de classe pour retrouver des amis du collège. Sauf que l’histoire a déjà fait le tour du lycée… Et que là encore, je suis une pestiférée. Même mes plus vieux amis ne veulent pas prendre le risque d’être vus avec moi. Un jour, un groupe de filles débarque alors que je suis sur un banc. Elles m’insultent gratuitement, pendant plusieurs minutes qui me paraissent interminables. Je n’ai pas d’échappatoire, c’est très violent. Je finis en pleurs dans le bureau de la CPE : “J’en peux plus”.
Pas le choix : mes parents me changent de lycée. Mais là encore, je ne suis pas tout à fait tranquille : le matin, je prends le même bus que mes anciens camarades et les remarques continuent. Ma mère décide de m’accompagner en voiture, jusqu’à ce que tout ça se tasse. Dans mon nouveau lycée, ça se passe bien, mais cette histoire m’a fait beaucoup de mal.
J’ai perdu toute confiance en moi. Heureusement, je trouve un moyen d’extérioriser : l’écriture. Je rédige un texte sur les amis qui n’en sont pas. Ça sort d’une traite et ça me fait un bien fou. Alors je continue et en quelques mois, je remplis un classeur entier à la main. J’écris à la troisième personne : je crée le personnage de Rubis, une fille qui se croit insignifiante, mais va se découvrir des pouvoirs magiques et réaliser qu’elle est précieuse. Ce n’est qu’en relisant l’histoire que je réalise que Rubis, c’est moi. Pour ne pas perdre mes notes, je les tape à l’ordinateur. J’en profite pour les retravailler et c’est là que l’envie me vient de confronter mon histoire à des lecteurs.
Je trouve un titre à mon roman : Esmantium. Puis je le poste par morceaux sur la plateforme Wattpad… Le nombre de lecteurs grimpe petit à petit et les commentaires se multiplient. Les lire et y répondre me fait du bien : je suis étonnée par le nombre de gens qui traversent les mêmes émotions que moi, même si leurs histoires sont différentes. Je commence à réaliser qu’il se passe quelque chose quand je passe le cap des 100 000 vues. Dans la foulée, je remporte un Watty, prix attribué aux auteurs les plus prometteurs de la plateforme. Je prends confiance et l’été dernier, poussée par ma communauté, j’envoie mon manuscrit à des maisons d’édition. Les éditions Sudarènes me répondent tout de suite : ils veulent publier mon livre !
Aujourd’hui, j’ai atteint le million de lecteurs sur Wattpad et Esmantium existe pour de vrai dans les librairies. Je le vis comme une belle revanche. Mon plus grand souhait, c’est que ce livre puisse inspirer d’autres jeunes, les aider à s’accepter malgré les critiques. Et pourquoi pas, qu’il inspire aussi les adultes : lors d’une séance de dédicaces, la CPE d’un collège de la région est venue me rencontrer pour avoir mon avis sur la manière de gérer les situations de harcèlement. Plus on parlera de ce sujet, plus les choses avanceront. Et je suis heureuse si je peux y contribuer un tout petit peu.
Le pseudo de Tiphaine Lever sur Wattpad : @DuBleuDansSesVeines
Les conseils du magazine Phosphore
- Sur le web : un site répertorie les ressources pour agir, que tu sois victime ou témoin.
- Si tu préfères parler, deux numéros gratuits : 3020 et 0800 200 000. Enfin, les vidéos Stop au harcèlement de Squeezie et Le harcèlement au lycée d’EnjoyPhoenix illustrent le côté coupable et le côté victime.
“L’histoire de Tiphaine, 18 ans : «Harcelée au lycée, j’ai écrit un roman sur mon histoire»”, Phosphore n°445, 1er juin 2018. Texte : Chloé Plancoulaine. Illustrations : Moemai.fr