Quand la mort survient, les adultes sont souvent mal à l’aise pour expliquer aux enfants ce qui se passe. Dans son dernier ouvrage, Delphine Horvilleur, philosophe et rabbin, nous aide et nous encourage à aborder ce sujet, si sensible, avec eux. Nous vous invitons à découvrir son interview et la rencontre qui a été organisée par le magazine Okapi avec des collégien(ne)s. Elle montre combien nos ados, comme les plus jeunes, ont besoin de mots justes.
Elle accompagne chaque jour des familles dans la traversée de ce moment très singulier du deuil, « un peu comme une présence qui tiendrait la main, ni tout à fait un parent, ni tout à fait une amie… » Delphine Horvilleur, rabbin et philosophe, a déjà beaucoup réfléchi à l’irruption de la mort, aux manières de l’affronter et, surtout, de ne pas la laisser gagner sur la vie. Déjà auteure de Vivre avec nos morts, chez Grasset, elle a récemment publié Euh… Comment parler de la mort aux enfants, chez Bayard et Grasset. Avec l’idée, cette fois, de soutenir les parents qui ne savent pas comment répondre aux questions des enfants sur ce qui reste un grand mystère.
Ce petit livre (100 pages) est découpé en chapitres inspirés des jeux d’enfants, « Roi du silence », « Cache-cache »…, pour rendre accessibles et symboliques ses idées – on pourrait presque dire « astuces ». Notre chapitre préféré ? « La marelle », ce jeu « où l’on chemine simultanément vers le ciel et la terre, à cloche-pied. On avance, comme dans la vie, en claudiquant, en boîtant… en n’étant ”pas sûr”. Il en va ainsi de notre chemin dans le deuil. »
Pas de certitude, pas de recette toute faite, donc, mais juste des éléments de réflexions utiles aux parents, et même à nos adolescents, comme l’a montré Delphine Horvilleur en conversant avec six collégien(nes) lecteurs d’Okapi. Un moment précieux pensé pour le magazine Bayard Jeunesse des 10-15 ans, à découvrir ci-après.
Camille Choteau, responsable édito web Bayard Jeunesse
« On devrait tous oser parler de la mort » : rencontre de Delphine Horvilleur et de six adolescent(e)s pour les lecteurs et les lectrices d’Okapi
Delphine Horvilleur : J’ai remarqué que, souvent, quand la mort survient, les adultes sont mal à l’aise pour en parler aux plus jeunes. Je vais vous raconter une histoire. Un jour, j’ai été appelée par une famille qui venait de vivre un moment très triste : leur bébé était mort. Les parents voulaient que je parle à son frère de 5 ou 6 ans. J’ai regardé un dessin animé avec lui, puis nous avons discuté. Et là, il m’a dit ces mots extraordinaires : « J’en ai marre qu’on me raconte n’importe quoi. Mon frère est enterré demain, mais on me dit qu’il est au ciel. Il ne peut pas être sous terre et au ciel à la fois, et moi j’ai besoin de comprendre où il est, pour savoir dans quelle direction regarder pour lui parler ! » En voulant le protéger, ses parents avaient compliqué son deuil. Comment les adultes vous ont-ils parlé, à vous, la première fois que vous avez été confrontés à la mort ?

Louise : Quand mon papi est décédé, on m’en a parlé. J’ai pleuré, mais je n’ai pas été surprise car je savais qu’il était très malade…
Delphine : Souvent, pour ne pas faire de peine, les adultes disent « il est parti », « il nous a quittés », « elle est une étoile dans le ciel »…
Luce : Oui, ou ils ne disent rien. Un jour, j’ai vu ma mère pleurer au téléphone. Elle venait d’apprendre la mort de son grand-père. Quand elle a raccroché, on a juste pleuré ensemble.
« Je n’ai pas posé toutes mes questions »
Violeta : Leur corps parle aussi. Un soir, mes parents avaient invité la directrice de l’école à dîner. À un moment, elle s’est sentie mal. Mes parents m’ont ensuite expliqué qu’elle venait d’apprendre le décès d’une animatrice de l’école que je connaissais très bien. Ce décès était si soudain qu’il avait quelque chose d’irréel.
Thibault : Dans mon collège, une élève de 4e s’est suicidée. Mes parents l’ont appris par mail pendant le week-end. Ils me l’ont dit sans donner de détails. Ils étaient gênés. Le lendemain, ma prof de français nous a expliqué que cette élève avait été harcelée.
Aristide : Quand j’ai perdu mon chat, j’étais en classe verte et mes parents ont attendu mon retour pour me le dire. Plus tard, j’ai perdu deux de mes deux grands-parents, mais ce n’était pas une surprise. Mes parents ne m’avaient pas tenu à l’écart.
Violeta : Moi, quand j’ai appris le décès de cette animatrice, je n’ai pas osé poser toutes les questions que je voulais. Comment ça s’est passé ? Que fait-on du corps ? Comment on fait son testament ? De peur de paraître impolie…
« Nous avons droit à la vérité »
Delphine : On se sent tous gênés. Surtout quand la mort est brutale. Cela nous semble trop injuste. Pourtant, je pense qu’on devrait toujours oser parler de la mort.
Aristide : C’est embêtant quand on nous dit « on a eu une mauvaise nouvelle », sans nous dire laquelle. Nous avons droit à la vérité. Même si c’est difficile de prononcer les mots « il est mort », les parents doivent le faire.
Violeta : Chez moi, on doit être la seule famille qui parle de la mort tout le temps (rires). J’ai de grandes discussions avec mon père sur le deuil, sur l’infini, etc. Ça me fait très peur, d’ailleurs, cette idée d’infini.
Thibault : J’ai entendu dire qu’il y a une vie après la mort, mais j’aimerais savoir si c’est vrai.
Delphine : Tu n’es pas le seul, mais personne n’en sait rien ! Certains y croient, d’autres non.
Aristide : À mon avis, ce n’est pas possible qu’il n’y ait rien. Parce que quand on dit « je ne vois rien », en fait, on voit du noir. Quand on dit « je n’entends rien », en fait, on entend le silence…

« La mort et la vie se complètent »
Delphine : Eh bien, c’est que la vie a besoin de la mort et que les deux se complètent en permanence. C’est paradoxal, mais c’est intéressant. Avant d’être rabbin, j’ai fait des études de médecine. J’ai découvert que, selon la biologie, pour être en bonne santé, il faut que certaines de nos cellules meurent, et que cela commence très tôt, dès la formation du fœtus dans le ventre de sa mère. Celui-ci, au départ, a des mains palmées. Pour que les doigts se forment, il faut que les cellules de peau entre eux meurent. De même, pour que vous soyez là, il a fallu que toutes les générations précédentes meurent.
Lisa : Oui, sinon, on serait beaucoup trop nombreux sur Terre !
Delphine : Mais cette idée est bien sûr difficile à accepter quand il s’agit de la mort de ses propres grands-parents ou parents.
Lisa : Les gens préfèrent toujours mourir avant leur proche. Ils disent « si mon fils meurt, il y aura deux morts parce que mon cœur aussi sera mort ». Dans plein d’histoires, de romans, les parents se sacrifient pour leurs enfants, par exemple.
Delphine : C’est parce que les enfants sont la suite de l’histoire. Quand quelqu’un de jeune meurt, on éprouve un sentiment d’injustice : on se dit qu’il n’a pas eu le temps de laisser une trace. Pourtant, c’est un peu faux. Ce n’est pas sa durée qui fait la valeur d’une vie. Certaines personnes très âgées n’ont jamais réussi à dire à leurs proches qu’elles les aimaient ou à construire un projet. Alors que d’autres, malgré leur passage rapide sur Terre, ont le temps de laisser une trace profonde…
Delphine Horvilleur : c’est quoi être rabbin?
« Je m’occupe d’une communauté juive dans un lieu qui s’appelle une synagogue. Le cœur de mon métier, c’est d’accompagner les gens dans les grands moments de leur vie, qu’ils soient joyeux ou tristes. Ils m’appellent quand ils se marient, ont un enfant, sont malades ou perdent un proche. Nous réfléchissons ensemble à comment traverser ces joies et ces peines. »
Un livre qui fait du bien, à lire seul(e) ou avec ses parents, surtout si on a perdu un être cher.
Euh… Comment parler de la mort aux enfants, de Delphine Horvilleur, éd. Bayard/Grasset, 14,90 €.

« On devrait tous oser parler de la mort », article extrait du magazine Okapi n° 1221, 1er mai 2025. Propos recueillis par Emmanuelle Lucas. Photos : Chloé Vollmer-Lo.
