“Je regarde du porno et j’ai trop honte !”, article extrait de la rubrique “On se dit tout” du magazine Okapi n°1202 du 15 juin 2024. Texte : Olivia Villamy. Illustration : Princess H.
© Illustration : Princess H. Okapi n°1202.

Pornographie en ligne : comment protéger nos ados ?

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Des études récentes mettent en évidence les dégâts que provoquent les contenus pornographiques sur nos enfants qui peuvent y accéder d’un simple clic sur un smartphone. Et ils sont aujourd’hui toujours plus nombreux à consulter des sites « adultes ». Face à ce fléau, Okapi, le magazine Bayard Jeunesse des 11-15 ans, s’empare du sujet, à hauteur d’adolescent(e)s, pour répondre à leurs questions, les informer et les encourager à en parler, malgré la honte, avec leurs parents ou d’autres adultes de confiance.

En mai 2023, une étude de l’Arcom, l’Autorité chargée de réguler les contenus audiovisuels et numériques, révélait des données inquiétantes sur la fréquentation de sites « adultes » par les mineurs, y compris les plus jeunes d’entre eux. Ils et elles seraient quelque 2,3 millions à consulter de tels sites, selon l’organisme public de contrôle. Et dès 12-13 ans, « plus de la moitié des garçons (51 %) se rendent sur des sites adultes en moyenne chaque mois ». La fréquentation par les adolescentes est moindre, et l’écart entre les deux sexes s’accroît avec l’âge, apprend-on encore. Toutefois, le taux de fréquentation pour les jeunes filles, au même âge, est loin d’être insignifiant : 31 % d’entre elles seraient concernées, soit près du tiers de la tranche d’âge, tandis qu’à 14-15 ans, le taux chez les garçons augmente à 59 %, alors que celui chez les filles baisse, légèrement, à 27 %.

Autre étude, toujours en 2023 : l’Ifop, cette fois, indique que plus d’un quart (27 %) des 18-24 ans interrogés déclarent avoir visionné des contenus pornographiques pour la première fois entre 8 ans et 12 ans. Ce taux, qui a plus que doublé en dix ans, montre que si la tendance a explosé depuis plusieurs années, elle n’est pas seulement le fait de la période la plus récente.

À cette échelle, comme a pu l’écrire, en mars, dans le quotidien La Croix, la chercheuse Priscille Kulczyk – autrice en 2023 du rapport « Combattre la pornographie. Mieux réglementer l’accès à la pornographie » –, il est possible de parler de « véritable fléau qui constitue une forme d’atteinte à grande échelle » visant notre jeunesse.

Accès des mineurs aux sites pornographiques : une prise de conscience collective est nécessaire

La publication de ces études a eu le mérite de provoquer un choc, et une prise de conscience des pouvoirs publics. En avril 2024, une loi sur la régulation de l’espace numérique a été définitivement adoptée en France, comprenant un volet sur le blocage des sites. Pour autant le chemin est long avant de voir les usages changer pour de bon, comme l’ont aussitôt déploré et dénoncé plusieurs associations de défense de l’enfance. À ce stade, en effet, le pouvoir de blocage donné à l’Arcom ne pourra pas s’appliquer aux plus gros sites, hébergés dans des pays échappant à sa juridiction… L’efficacité de la loi est donc largement questionnée.

Pour autant, le sujet ne relève pas que des pouvoirs publics. La publication de ces données nous alerte toutes et tous, à commencer, bien sûr, par les parents, mais aussi les éditeurs comme Bayard Jeunesse. Au même titre que d’autres sujets de société affectant les adolescents, Okapi, qui s’adresse aux collégiennes et collégiens en première ligne face à ce « fléau », se devait donc de s’en emparer.

« Je n’ose pas le dire à mes parents car j’ai peur de leur réaction »

Les journalistes au sein de notre rédaction font régulièrement le constat que les élèves de collège, confrontés à des sujets sensibles qui ont trait à la sexualité, à l’intime, se trouvent souvent silencieux et démunis, ne sachant vers qui se tourner.
Plusieurs, tout en demeurant anonymes, se sont adressés à Okapi, « leur magazine préféré », pour dire à quel point le fait d’avoir vu des contenus pornographiques les avait profondément perturbés. « Avec des copains, on est allés sur un site porno, et depuis je suis traumatisé et j’ai du mal à m’endormir. Aidez-moi », appelle l’un d’eux. « Des fois je craque, j’ai vraiment honte », écrit un autre. « Je n’ose pas le dire à mes parents car j’ai peur de leur réaction », ajoute une lectrice de 11 ans.

À Okapi, nous partons du principe que celles et ceux qui ont osé écrire sont représentatifs de tous les autres, qui n’ont pas franchi ce pas mais n’ignorent rien du sujet. Aussi avons-nous rapidement pris la décision de lui donner de l’espace dans nos pages, non pour faire un état des lieux potentiellement culpabilisant, mais bien pour répondre aux questions. Pour ne pas choquer les plus jeunes, nous avons aussi attendu la fin d’année scolaire pour publier cet article, de sorte que les abonnés, y compris les plus jeunes, avaient passé au minimum une année pleine au collège.

Travailler sur ce sujet n’en reste pas moins une entreprise délicate lorsque l’on s’adresse à des mineurs. Aussi avons-nous pris le parti d’écrire à hauteur de public jeune, de proscrire les témoignages ou les mots crus. À l’inverse, notre journaliste, habituée à répondre au courrier des ados sur toutes sortes de sujets, a adopté un ton empathique, déculpabilisant, accompagnant. Son article vise à déconstruire ces images avilissantes qui n’ont rien à voir avec la réalité et la beauté de la relation entre personnes aimantes et consentantes, il montre comment ces images agissent sur le cerveau, peuvent provoquer une addiction et entraîner une baisse de l’estime de soi, il alerte également sur le risque d’altération du désir et de la sexualité future, en sollicitant l’un des grands spécialistes du sujet en France, le professeur Israël Nisand, auteur de « Parler sexe, comment informer nos ados ? »

Avec des mots rassurants, enfin, il incite celles et ceux qui l’auront lu à ne pas garder ce traumatisme comme un lourd secret, mais à oser en parler pour s’en détacher ! À qui ? Aux adultes de leur entourage, à leurs parents, en leur faisant confiance… Et en leur demandant, bien sûr, s’ils ont bien pensé à activer la fonctionnalité du contrôle parental sur leur téléphone pour empêcher l’accès accidentel à des contenus inappropriés.

Jean-Yves Dana, rédacteur en chef d’Okapi
“Avant j'imaginais que l'amour, c'était des trucs romantiques… maintenant que j'ai regardé du porno, je n'y arrive plus”, image extraite de la rubrique “On se dit tout” du magazine Okapi n°1202 du 15 juin 2024, en kiosque dès le 5 juin 2024. Texte : Olivia Villamy. Illustration : Princess H.

“Je regarde du porno et j’ai trop honte !” : des collégien(ne)s se confient dans Okapi

Article “Je regarde du porno et j’ai trop honte !”, extrait de la rubrique “On se dit tout” du magazine Okapi n°1202 du 15 juin 2024.

  • J’ai vu des vidéos pornos et j’arrête plus d’y penser… J’arrête plus d’avoir envie de voir les filles nues ! J’en peux plus, pouvez-vous m’aider ? Anonyme (gars)
  • Je suis attiré par les sites pornographiques… Et des fois, je craque. J’ai vraiment honte. Mais j’aimerais quand même préciser que, quand c’est vraiment choquant, j’arrête. Anonyme (gars)
  • J’ai un gros problème : depuis trois mois, je regarde du porno (pas fréquemment), alors que je n’ai que 11 ans. J’ai arrêté d’en regarder pendant trois semaines, mais j’ai repris il y a 3 jours. Je n’ose pas le dire à mes parents car j’ai peur de leur réaction. Est-ce normal à mon âge ? Devrais-je en parler à quelqu’un ? Anonyme (fille), 11 ans
  • Avec des copains, on est allés sur un site porno et, depuis, je suis traumatisé et j’ai du mal à m’endormir. Aidez-moi. Anonyme (gars)
  • Je suis souvent confrontée à des contenus vraiment choquants sur les réseaux et je me demande pourquoi ils ne sont pas signalés, surtout qu’il y a beaucoup de très jeunes sur les applis ! Paola, 14 ans
  • On nous dit de ne pas regarder de porno, mais c’est compliqué. On voit des images de filles dénudées partout, surtout sur les réseaux. Mehdi, 14 ans

Le choc du premier clic

Regarder des vidéos à caractère pornographique… La première fois, cela arrive souvent lorsque l’on est collégien(ne). Par hasard ou par curiosité. Plusieurs, parmi vous, nous écrivent que, depuis leur visionnage, ces images vous obsèdent, vous choquent, et que vous ressentez de la honte. Donc impossible d’en parler après ! Normal, chez la plupart d’entre vous, le cerveau n’est pas prêt à recevoir des représentations aussi crues. C’est comme un coup de poing en plein visage : elles entrent par effraction dans la tête. Et vous pouvez trouver ça dégoûtant, voire effrayant.

Le porno, d’abord un business

Tenter d’accéder à ces contenus parce que l’on ressent une curiosité à l’idée de voir de la nudité, cela peut arriver à n’importe quel(le) ado, fille ou garçon. Sauf que ces images, censées te montrer ce qu’est l’amour physique entre deux personnes, n’ont rien à voir avec la réalité. Et pour cause ! Pour récolter un maximum de vues, les réalisateurs de ces vidéos, derrière la caméra, misent non pas sur des histoires, mais sur des scènes extrêmes ! Et demandent aux actrices et acteurs de faire comme si c’était agréable, comme si ces pratiques étaient normales. En réalité, ça n’est pas le cas. Et tout cela n’est fait que pour choquer et susciter l’envie d’en voir toujours plus. Et ça, bien sûr, ces images ne le disent pas.

Tout le contraire de relations consenties

Dans la “vraie” vie, si une personne veut te toucher ou t’embrasser, il faut que tu donnes ton accord. C’est encore plus vrai dans le cas de relations sexuelles. Et chacun(e) a toujours le droit de changer d’avis. C’est ce qu’on appelle le consentement. Et si l’autre ne le respecte pas, c’est une agression ou un viol. Rien de tout cela dans les vidéos pornographiques : tout peut y être extrême et violent. Dans cette industrie, les actrices (surtout) et acteurs sont parfois obligé(e)s d’avoir des pratiques auxquelles elles/ils n’ont pas consenti. Ou de ne pas porter de préservatif, ce qui est dangereux car cela augmente le risque d’une infection sexuellement transmissible (IST). Tout ça n’est pas respectueux des êtres humains.

Et pourtant, ces vidéos attirent…

Mais alors pourquoi les vidéos pornos fascinent autant ? Pourquoi les sites qui les exposent cumulent-ils des nombres de vues très élevés ? Parce que ces images choquantes ont le pouvoir de susciter l’excitation sexuelle facile, immédiate, chez la personne qui les regarde. Alors que rencontrer quelqu’un, ressentir une attirance, ou même imaginer un scénario dans sa tête, cela prend du temps, c’est plus difficile, cela peut même provoquer un peu d’angoisse, de peur de mal faire.

… mais elles peuvent tuer le désir

Exposer une sexualité violente, ça court-circuite le désir de la personne qui regarde, surtout si elle est très jeune. Son cerveau va chercher des images plus extrêmes encore, accentuant l’écart avec la réalité. Tout cela met la pression dans la vraie vie ! Pour les garçons, cela peut se traduire par la crainte de ne pas être “à la hauteur”. Cela altère aussi leur façon de considérer leur partenaire ou de se considérer eux-mêmes, car la “virilité”, dans ces vidéos, passe souvent par de la violence verbale ou physique. Pour les filles, cela provoque une forte appréhension associée à la première fois, et cela nuit à leur estime d’elles-mêmes. Le porno présente une image très dégradée des femmes, presque toujours traitées comme des objets.

En parler pour s’en détacher !

Avouer qu’on regarde trop de vidéos pornographiques, c’est gênant. Mais c’est important, car cette pratique peut affecter la vie sexuelle future, mais aussi, plus rapidement, la vie sociale, personnelle et scolaire. En parler aux parents peut être embarrassant, alors c’est possible dans une Maison des Ados, une association, ou avec un grand frère ou une grande sœur, un médecin, un psychologue… On peut aussi demander aux parents s’ils ont activé la fonctionnalité du contrôle parental sur leur téléphone, afin d’empêcher l’accès accidentel à des contenus inappropriés. C’est leur responsabilité de le faire. Après avoir lu cet article, on espère que chacun(e) de vous saura mieux se protéger contre ces images qui vous veulent plus de mal que de bien… Bon courage !

Le porno, c’est interdit par la loi ?

Regarder du porno n’est pas illégal au sens où tu commettrais une infraction, mais c’est absolument déconseillé aux mineur(e)s. D’ailleurs, il y a peu de temps qu’ils y accèdent aussi facilement. Avant, il fallait avoir 18 ans pour entrer dans un cinéma projetant des films pornographiques, et la salle s’exposait à des poursuites, en cas de contrôle, si un(e) mineur(e) était à l’intérieur. À présent, la loi cherche à te protéger en demandant aux sites de vérifier que leurs utilisateur(trice)s ont plus de 18 ans. Mais on sait que dans la pratique, il n’est pas difficile de tricher sur l’âge. De fait, dès 12 ans, un tiers des mineur(e)s y a déjà été exposé (étude de l’Arcom en mai 2023). Il y a donc beaucoup de progrès à faire…

Est-ce que le porno peut affecter ma future vie sexuelle ?

Israël Nisand, prof de gynécologie et auteur de Parler Sexe. Comment informer nos ados ?, aux éditions Grasset.

La réponse est oui ! Les images pornographiques sont faites pour gagner de l’argent, et plus on transgresse, plus c’est obscène, plus on vend. Une fois qu’on a vu ça, c’est difficile d’affronter une sexualité réelle, et on peut remarquer l’apparition de certains troubles. La vulgarité, les mêmes pratiques qui reviennent de vidéo en vidéo et l’absence complète de relation affective sont en totale opposition avec la sexualité, qui est une relation entre des personnes qui expriment des sentiments, de la tendresse… pas une technique filmée en gros plans chirurgicaux.

“Je regarde du porno et j’ai trop honte !”, article extrait de la rubrique “On se dit tout” du magazine Okapi n°1202 du 15 juin 2024, en kiosque dès le 5 juin 2024. Texte : Olivia Villamy. Illustration : Princess H.

Couverture du magazine Okapi n°12002, 15 juin 2024.