Panoplie de pompier ou de princesse, chaussures de papa, collier de maman, pistolet en plastique… : quel que soit le déguisement choisi, le plaisir des petits est là ! La rédaction de Pomme d’Api a interrogé des spécialistes de l’enfance pour comprendre ce que leur apporte cette activité et comment l’accompagner…
Un tremplin vers l’imaginaire
Une vieille robe dans laquelle on se prend les pieds, une veste antédiluvienne dans laquelle les mains disparaissent… Mais aussi une avalanche de breloques, un chapeau, une canne et, évidemment, des chaussures dix fois trop grandes qui donnent une démarche de géant malhabile, sous les yeux de parents amusés et attendris… Comme le rappelle Catherine Watine, ludologue et responsable de l’association À l’adresse du jeu, “l’enfant a besoin d’être dans la fiction. Cela nourrit son imaginaire”.
Mais, en matière de déguisement, les enjeux ne sont pas exactement les mêmes selon les âges. Dans sa ludothèque de la région parisienne, Grégory Robet, ludothécaire, constate : “Les 3-4 ans vont plutôt jouer avec les accessoires. Pour eux, la mallette du médecin est plus importante que la blouse. Et pour se transformer en petit bricoleur, la perceuse qui fait du bruit est plus essentielle que la salopette…” De fait, comme l’explique Catherine Watine, chez les tout-petits, alors que l’identité n’est pas encore bien installée, le look “totale panoplie” peut un peu effrayer. Elle résume : “Ce n’est que vers 4 ans et demi ou 5 ans qu’on va commencer à inventer des rôles, et à se glisser plus aisément dans des déguisements complets.”
Faire comme les grands
Pourquoi cet attrait pour le déguisement ? Il y a tout d’abord l’envie de s’identifier. « Emprunter les habits de ses parents, c’est chercher à ressembler à ceux qu’on voit comme “nos superhéros », explique la psychologue clinicienne Sophie Tournesac. Mais c’est aussi l’envie d’imiter. Catherine Watine note que, chez les plus jeunes, les uniformes – pompier, policière – remportent une franche adhésion parce qu’ils sont très identifiés. “Dès 4 ans, souligne-t-elle, les costumes de superhéros fonctionnent à fond.” Cela n’étonne pas Sophie Tournesac, pour qui le déguisement constitue également un objet transitionnel : “L’enfant naît dans la toute-puissance, rappelle-t-elle, puis il apprend à renoncer. Il doit accepter certaines règles, certaines limites. Grâce au déguisement, il se situe à mi-chemin entre l’imaginaire et la réalité.” D’accord, il faut abdiquer certains pouvoirs, mais le costume de Superman ou de Wonderwoman autorise à y croire encore un peu…
La psychologue voit aussi dans le déguisement une dimension cathartique. “L’enfant est traversé par des émotions contrastées, rappelle-t-elle. Le déguisement permet de mettre en scène les différentes facettes de sa personnalité.” Il ou elle veut se déguiser en ours ? Cela peut être une façon d’exprimer, dans un cadre, sa part d’agressivité. Opter pour la tenue de médecin, “c’est renverser une situation où il était passif – en tant que petit patient – pour devenir acteur”.
Un exercice de sociabilisation
Et puis bien sûr, il y a tous les possibles qu’offre le déguisement : changer de monde, d’époque, d’identité… “Cela amène une liberté quasi totale”, souligne Grégory Robet. En effet, note le ludothécaire, “les règles ne sont pas établies d’avance. Contrairement aux jeux de société, c’est à l’enfant de les définir”. Une dimension qui, au-delà d’affûter l’imaginaire, favorise la sociabilisation : il faut s’adapter aux situations proposées par les partenaires de jeu, négocier – être “le gentil” ou “le méchant” de l’histoire –, rebondir face à une péripétie donnée par un des participants.
Et étonnamment, “les enfants trouvent des compromis, souligne Grégory Robet. Il y a beaucoup moins de disputes entre eux lorsqu’ils se déguisent que lors des parties de jeux de société…” Le ludothécaire avoue qu’il apprécie observer les enfants en pleine séance de déguisement : “On peut entrer dix fois dans la pièce, on ne verra pas dix fois la même chose… C’est une source intarissable de créativité.”
Que mettre dans le coffre à déguisements ?
Constituer une petite réserve de costumes dans laquelle l’enfant piochera à sa guise… Voilà de quoi aiguiser l’imaginaire ! Pour Catherine Watine, on peut la remplir de vieux sacs, de foulards, chapeaux, robes ou chemises que l’enfant pourra ensuite s’amuser à détourner. La ludologue note également l’intérêt de la cape, qui “prend le rôle qu’on lui donne” et dans laquelle on peut se cacher ou s’envelopper. À défaut, un drap fera l’affaire !
Autant de solutions moins onéreuses et plus “développement durable” que les panoplies toutes faites achetées en magasin. D’autant que, concernant ces dernières, Grégory Robet souligne plusieurs problèmes : “Il y a des costumes pour enfants qui sont déjà très sexualisés. Une infirmière n’est pas forcément en minijupe !” Autre souci que relève le ludothécaire : “En termes de tailles, il existe déjà des standards. Des enfants un peu ronds peuvent ne pas entrer dans les tailles qui correspondent à leur âge.” Un message violent (“Tu n’es pas dans la norme”) envoyé à de jeunes enfants…
Il/elle n’aime pas se déguiser ?
À 3 ans, Léo fronce le nez quand il s’agit d’enfiler une tenue pour le carnaval ou une fête d’anniversaire. Pour aimer se déguiser, il faut que l’identité de l’enfant soit bien installée, qu’il n’ait pas peur de “se perdre” en devenant un autre. Mais, comme le souligne Catherine Watine, “cette prise de conscience n’intervient que vers les 3 ans de l’enfant”.
Or, le déguisement est porteur d’une dimension symbolique forte. “C’est comme si se déguiser revenait à changer de peau”, résume la psychologue Sophie Marinopoulos. Rien ne sert donc de forcer un petit qui n’en a pas envie à enfiler la panoplie complète de Spiderman ou de la Reine des Neiges. Mieux vaut procéder par étapes en lui proposant, pour commencer, un simple maquillage ou un accessoire comme un nez rouge ou un chapeau.
Il/elle veut toujours avoir un pistolet dans sa panoplie ?
Yann l’admet : il se sent toujours un peu crispé quand sa fille empoigne son pistolet en plastique et fait mine de tirer sur tout ce qui bouge. Là encore, pas de raison de s’affoler. « Il ne faut pas confondre le “faire semblant” et la réalité », explique Sophie Marinopoulos. Quand il joue, l’enfant sait qu’il est dans le “pour de faux”. Mieux, cela lui permet de mettre à distance des émotions qui l’habitent.
Notre rôle d’adulte consiste à marquer les limites. “On lui rappelle qu’il ne peut pas taper quelqu’un avec son pistolet”, explique Sophie Tournesac. Pour Catherine Watine, il convient aussi de poser les limites temporelles du moment ludique. Une fois le jeu fini, le pistolet retourne dans le coffre à jouets. Comme le résume Sophie Tournesac, “l’adulte est là pour mettre en place des règles qui protègent mais qui n’empêchent pas”.
Il veut se déguiser en fille… Elle veut se déguiser en garçon… ?
Barbara a été un peu interloquée quand elle a vu débouler, au cours d’une fête d’anniversaire, son fils vêtu d’un tutu de danseuse piqué à sa cousine. Mais ce ressenti en dit finalement bien plus long sur le parent… que sur l’enfant ! “Les petits savent que devenir un autre n’est en rien dangereux et qu’ils ne s’y perdront pas, rappelle Sophie Marinopoulos.
L’enfant peut alors plonger dans cet espace transitionnel qu’offre le jeu et devenir une princesse même si c’est un garçon ou un prince même si c’est une fille.” Surtout, estime la psychologue, “le choix de la transformation doit être libre et libéré de la projection et de l’interprétation parentales. Le parent observateur n’est pas dans cet espace hors de la réalité. L’enfant doit pouvoir jouer en toute tranquillité et ne pas être bridé dans son désir de se transformer”.
Pour aller plus loin
- À lire : Dites-moi à quoi il joue, je vous dirai comment il va, de Sophie Marinopoulos, éd. Les liens qui libèrent. La psychologue et psychanalyste évoque le bien-être de l’enfant à partir de son rapport aux jeux. Ces derniers constituent, selon l’auteure, un bon outil de mesure du bien-être émotionnel de l’enfant. Le déguisement y est évidemment abordé.
- À voir : Le site Les enfants créateurs. Sur son site web, la psychologue clinicienne Sophie Tournesac a filmé des enfants déguisés en train de jouer : notamment un petit garçon en ninja qui “attaque” sa sœur costumée en pompier. Au-delà de la vidéo, la thérapeute décortique, dans un texte, ce qui se joue dans cette scène. Passionnant !
- À écouter en famille : La petite Josette, d’Anne Sylvestre, volume 8 des Fabulettes, BC Musique / EPM. Retour aux classiques avec ce personnage culte d’Anne Sylvestre, la petite Josette, qui n’est pas la dernière à aimer se déguiser ! Dans “La petite Josette et le Carnaval”, elle se déguise en chat et éprouve le bonheur de se glisser dans la peau de quelqu’un d’autre. Dans “La petite Josette et les moustaches”, elle va à l’école sans avoir effacé ses moustaches de chocolat. Et voilà la gardienne de l’immeuble qui la prend pour un monsieur ! De quoi bien rire en famille.