Plus addictive que les autres, l’application TikTok cartonne chez les moins de 25 ans qui sont nombreux à s’y connecter, parfois plusieurs heures par jour. Et cela commence à alerter les scientifiques et les parents qui notent chez leurs enfants des baisses d’attention, des difficultés à s’endormir, à se concentrer, à mémoriser… En invitant les 10-15 ans à comprendre comment TikTok agit sur leur cerveau pour capter leur attention et les séduire, le magazine Okapi prend le pari de les aider à ne pas se laisser piéger, et à s’en détacher !
Okapi scrute les effets de TikTok sur le cerveau des ados
Jean-Yves Dana, rédacteur en chef du magazine Okapi :
Une fois n’est pas coutume : dans son numéro du 15 octobre, Okapi parle de TikTok à ses lectrices et lecteurs dans l’un de ses dossiers. Pas pour leur raconter ce qu’ils y font quand ils se connectent. Ils le savent déjà ! Plutôt pour les inviter à comprendre pourquoi, une fois qu’ils scrollent, il leur est si difficile de s’en détacher… Intitulé “Que se passe-t-il dans ton cerveau quand tu es sur TikTok ?“, le traitement de l’article est à la fois générationnel et scientifique, puisque le mois d’octobre est celui de la fête de la Science, dont Okapi est partenaire.
Bien sûr, le dossier aborde les enjeux stratégiques de l’algorithme TikTok, application venue de Chine. Mais ici, c’est d’abord, à hauteur d’ado, la puissance de cet algorithme qu’il nous importe de décrypter : selon des chercheurs, il ne faudrait qu’une heure à TikTok pour déterminer le profil psychologique d’un utilisateur, quel que soit son âge, avant de lui sélectionner des dizaines de vidéos qui l’inciteront à regarder, et regarder encore.
Portée par cette incontestable force de frappe, TikTok a connu une croissance phénoménale depuis sa création en 2016. L’appli, qui permettait au départ de partager de courtes vidéos (chorégraphies, playbacks, sketches…), compte autour de 1,7 milliard d’utilisateurs dans le monde, dont près du quart ont moins de 20 ans. Pour chacun, le temps moyen passé chaque jour sur l’appli était de 95 minutes en 2022. Trois fois plus que sur X (ex-Twitter).
De quoi donner le tournis aux ados et les inquiéter, car ils ont conscience que c’est parfois “trop”, comme le montrent leurs questions posées dans Okapi, auxquelles la psychologue spécialiste des écrans Sabine Duflo apporte des réponses éclairantes. Leurs parents, eux, constatent une baisse d’attention chez leurs enfants, des difficultés à s’endormir, des réactions plus impulsives, une difficulté accrue à se concentrer, à mémoriser. L’application TikTok n’est bien sûr pas seule en cause dans la consommation abusive des écrans – et d’ailleurs, les ados de 13 ans lui préfèrent d’autres réseaux sociaux, en particulier Snapchat. Mais sa capacité particulière à provoquer des modes d’utilisation compulsifs la distingue…
Comment aborder cela avec les ados eux-mêmes, à la fois concernés par le sujet et qui n’ont pas envie qu’on leur fasse la morale ? Okapi, pour frapper leur imagination, prend le parti de comparer la machine TikTok, et son algorithme implacable, à un manège à sensations fortes : des montagnes russes absolument séduisantes pour quiconque les essaie, qui activent dans le cerveau un circuit de la récompense, synonyme de plaisir, comparable à celui des véritables attractions foraines, mais disponible à volonté.
Le dossier en profite pour expliciter des notions de sciences comme l’attention réflexe ou les neurones miroirs, des termes comme la dopamine ou l’endorphine. Bref, en parlant de TikTok, il parle surtout de notre cerveau et de ce qui le fait, parfois, tourner à plein régime !
Et puis, pour susciter de la discussion au sein de la famille, Okapi propose sept règles d’or à hauteur d’ado, à suivre pour ne pas se laisser piéger par l’appli : protéger sa vie privée, éviter de se connecter au coucher ou au réveil, fuir les challenges souvent idiots et dangereux, ne pas poster une vidéo n’importe comment, se fixer au préalable une limite de temps… On en ajoutera une huitième, à l’usage des parents : lâcher son téléphone à table ou en présence de ses ados, et montrer, sans les culpabiliser, que l’on s’intéresse à ce qu’ils font sur le leur !
Lire l’intégralité de l’article sur TikTok et le cerveau des ados extrait du magazine Okapi
Le succès d’une machine implacable
La force de frappe de TikTok ne laisse rien au hasard. On te démonte le mécanisme.
TikTok en 5 infos
• C’est une appli de partage de vidéos courtes.
• Les chorés, playbacks et sketchs y sont très populaires.
• Elle a été lancée en 2016 par l’entreprise chinoise ByteDance (sa version chinoise s’appelle Douyin).
• Elle compte 1,7 milliard d’utilisateurs actifs dans le monde, dont 15 millions en France (Okapi est aussi sur TikTok).
• Près d’un utilisateur sur 4 a moins de 20 ans.
Un algorithme tout puissant
Jalousement gardé secret par ses créateurs, l’algorithme qui définit les règles de fonctionnement de TikTok et configure ses préférences se montre particulièrement autoritaire. Impossible de cliquer à droite, à gauche, ou de flâner au gré de ses envies. Lui, et lui seul, décide de tout ce qui s’affiche sur le fil principal “Pour toi”. Il impose des “batchs” – des lots de 30 vidéos – pour mieux tester l’utilisateur en analysant notamment le temps passé sur chacune, les créateurs suivis, les likes. Et si une vidéo ne plaît pas ? La seule solution est de vite swiper vers le bas pour éviter de se voir proposer un contenu similaire.
Une collecte massive de données
Les chercheurs estiment qu’il faut moins d’une heure à TikTok pour établir le profil psychologique d’un utilisateur. Toute interaction avec l’appli est collectée, scrutée et analysée afin d’anticiper ses préférences. Autant de précieuses indications qui s’appellent… des points d’entraînements. TikTok en collecte beaucoup. Et ce n’est pas tout ! Les informations personnelles récoltées lors de chaque inscription sont revendues à prix d’or à d’autres entreprises privées qui les utiliseront pour de la publicité ciblée.
Des vidéos ultra courtes
Pour nous rendre accros, la durée idéale d’une vidéo sur TikTok varie de 21 à 34 secondes. Ce format très rapide marche si bien auprès des usagers qu’il a été copié par YouTube Shorts et Facebook Watch.
Un contrôle très laxiste
Sur TikTok comme ailleurs, aucun contrôle n’est mis en place pour vérifier l’âge des nouveaux inscrits, censés avoir au moins 13 ans. Une nouvelle loi contraindra bientôt les réseaux à refuser l’inscription des moins de 15 ans, sauf en cas d’accord parental. Et contrairement à ce que laissent penser certains messages à l’attention des parents, TikTok est laxiste sur ses contenus. Influenceurs dénudés, challenges dangereux, fausses infos… Une ancienne modératrice chargée de surveiller les publications raconte qu’elle devait visionner jusqu’à 1 000 vidéos par jour, soit une centaine par heure, en accéléré. On comprend mieux les ratés !
- Des interdictions dans certains pays
Aux États-Unis, au Canada et en Europe, les fonctionnaires (qui travaillent pour des organismes publics) n’ont plus le droit de télécharger l’appli. Nombre de pays, dont la France, soupçonnent le Parti communiste chinois, parti unique et dictatorial qui siège au conseil d’administration de TikTok, de se livrer à des activités d’espionnage. Objectif ? Accroître l’influence chinoise en récoltant les données secrètes de ses utilisateurs à travers le monde.
Un manège à sensations fortes
En haut ! En bas ! Difficile de garder la tête froide sur les montagnes russes de TikTok, qui sait activer dans ton cerveau un “circuit de la récompense”, synonyme de plaisir.
Vidéos hypnotiques
Depuis des millénaires, le cerveau humain est programmé pour repérer ce qui bouge. Pratique, quand il fallait chasser pour se nourrir ! Moins vital aujourd’hui, sauf pour TikTok qui en profite pour nous piéger avec ses vidéos de danse. Elles captent l’attention réflexe. Le cerveau se focalise naturellement sur le mouvement, la lumière et le son. Pour se concentrer sur une seule tâche, il doit écarter les informations inutiles, ce qui lui demande un gros effort !
Musique obsédante
Les extraits musicaux, qui tournent en boucle sur TikTok, tournent aussi dans ta tête ? C’est normal ! L’appli utilise la musique pour te rendre accro. L’écoute d’un morceau que tu aimes active une petite zone du cerveau, appelée noyau accumbens, qui sécrète de la dopamine. Ce neurotransmetteur voyage de neurone en neurone en provoquant une sensation de plaisir. Il active aussi la production d’endorphines, des hormones qui procurent une sensation de bien-être.
Motivation court-circuitée
Les shots de dopamine successifs ont tendance à laminer la motivation. Car, à la base, le cerveau est conçu pour libérer la dopamine après une activité bénéfique comme le travail ou le sport. Oui, mais… dur, dur de faire des efforts quand il suffit de swiper pour recevoir la récompense d’un plaisir immédiat.
Impulsivité incontrôlée
Le cerveau n’arrive à maturité que vers 25 ans : les régions qui permettent de gérer les émotions et de contrôler les impulsions sont parmi les dernières à y parvenir. Voilà pourquoi résister à TikTok relève presque de la mission impossible ! Et son utilisation régulière peut perturber le développement du cerveau, en particulier augmenter le risque d’impulsivité et de difficultés de concentration à l’âge adulte.
Jackpot imprévisible
Pour retenir les utilisateurs le plus longtemps possible, TikTok introduit une dose d’incertitude. L’appli n’affiche pas tout le temps les vidéos que l’on préfère. C’est un peu comme… jouer avec une machine à sous : quand on n’est pas sûr de gagner, on insiste ! Et lorsqu’enfin on tombe sur une vidéo que l’on adore, le cerveau libère… encore plus de dopamine.
Challenges irrésistibles
Le cerveau a tendance à préférer ce qui est familier : on appelle ça l’effet de “simple exposition”. Plus tu es exposé à quelque chose et plus tu l’apprécies. La publicité utilise ce mécanisme. Pareil pour TikTok, avec ses trends et ses chorés ! Les neurones miroirs sont des cellules du cerveau qui permettent d’apprendre en imitant. Ils s’activent lorsqu’on exécute une action ou qu’on observe quelqu’un faire quelque chose. Ils nous poussent alors à répéter les mouvements. Avec pour conséquence, une énorme envie de poster !
Concentration envolée
TikTok empêche la concentration qui permet d’apprendre, de créer des souvenirs et de les retenir. Pour se concentrer sur une tâche, le cerveau doit filtrer le flux d’informations qui nous entoure et le fil de nos pensées. Cela demande des efforts, mais permet d’accomplir des missions qui comptent vraiment sur le long terme (réussir son année, s’entraîner…).
Repères perdus
Sur l’app, les minutes s’écoulent à une vitesse vertigineuse. Pourquoi ? Dans le tourbillon de TikTok, la mémoire n’a pas le temps de retenir les informations. Or, quand on ne se crée aucun souvenir, l’espace et le temps nous échappent : on ne sait plus où l’on est, ni quand.
- En Chine, un contrôle plus strict
La Chine a demandé à TikTok d’être stricte avec les moins de 14 ans. Ils ne peuvent y passer plus de 40 min par jour, pas après 22 heures, et les contenus éducatifs y sont bien plus valorisés. Certains voient dans cette différence une volonté de Pékin de protéger sa jeunesse et, à l’inverse, de manipuler la jeunesse occidentale. Sous le feu des critiques, TikTok a fixé une limite de 60 min par jour pour les moins de 18 ans partout dans le monde.
Tactiques pour ne pas devenir toc-toc
Sabine Duflo, psychologue et spécialiste des écrans, répond à vos questions et inquiétudes liées à vos usages de TikTok.
“J’ai une très bonne mémoire visuelle, mais depuis que j’ai TikTok, j’ai des trous… J’ai peur de devenir bête.” Awa, 14 ans
Chère Awa, TikTok chamboule le processus de mémorisation. À terme, cela peut affecter l’intelligence, car celle-ci dépend de la capacité à faire des liens entre des informations que l’on mémorise, justement. Je te rassure, le problème ne vient pas de toi, mais bien de l’application. Pour préserver ta mémoire, protège ton sommeil. Car pendant que tu dors, ton cerveau consolide tes connaissances !
“J’ai désinstallé l’appli car quand je voulais dormir, les chansons repassaient en boucle dans ma tête !” Angela, 15 ans
Chère Angela, nos cerveaux sont paresseux : ils aiment ce qui est simple et se retient facilement. Une petite mélodie bien ficelée et lancinante, plutôt qu’un long morceau complexe. L’application favorise ce côté uniforme et homogène !
“J’ai essayé de me fixer une limite d’une heure par jour. J’ai programmé une alerte, mais il suffit de la fermer pour continuer à scroller. Comment y passer moins de temps ?” Tili, 15 ans
Cher Tili, la meilleure solution serait de désinstaller l’application ! Quitte à craquer et à répéter le processus plusieurs fois. Tu peux y aller progressivement. D’abord, pas d’appli dès le réveil. Attends d’être dehors ! Ensuite, tente de reculer progressivement l’heure où tu commences à te connecter. Le mieux est de commencer à te connecter l’après-midi.
Enfin, évite de la regarder quand tu es à table et, le soir, fixe-toi une heure à laquelle tu arrêtes de consulter ton téléphone, de préférence deux heures avant de te coucher. La lumière bleue empêche la sécrétion de mélatonine qui favorise l’endormissement.
“Quand je regarde des vidéos ‘normales’ qui durent 20 minutes ou plus, ça me semble trop long ! Je n’arrive plus à me concentrer.” Anonyme, 14 ans
Cher Anonyme, c’est normal car plus on stimule l’attention réflexe et moins on est capable de regarder un film ou de lire un livre. Pour reprendre le contrôle, essaye de sortir, d’aller voir tes amis, de faire du sport ou de te balader pour casser le cercle vicieux des shots successifs de dopamine. Cela permet aussi à ton cerveau de passer en mode “off”. Dans ces moments, il va créer du lien entre tes différentes connaissances, c’est comme cela que naît la pensée. Tu peux aussi demander de l’aide à tes parents, ou en parler avec un adulte en qui tu as confiance.
“Je n’arrive pas à me passer de TikTok. Il n’y a pas un jour sans que je me connecte. Parfois, je laisse même mon téléphone tourner en boucle pendant que je fais mes devoirs… Ça me rassure !” Léa, 14 ans
Chère Léa, TikTok te rend accro à ton écran. Pourquoi ? Parce qu’il simule une présence. Les écrans nous rassurent en imitant le bruit de la vie. C’est dommage car le silence favorise la réflexion… Et ton attention n’est pas multitâche. Tu ne peux pas espérer faire correctement tes devoirs en consultant TikTok. Alors, place ton téléphone dans une autre pièce ou confie-le à tes parents ! Tu tiendras peut-être 15 minutes, au début, mais tu augmenteras peu à peu ta durée de concentration.
“Si je regarde Tiktok au réveil, j’ai l’impression d’avoir le cerveau engourdi tout le reste de la journée.” Anonyme, 15 ans
Les capacités attentionnelles sont plus fortes le matin. Au collège, tu as peut-être remarqué que les apprentissages se font plutôt en début de journée. TikTok, comme la plupart des écrans, ne donne pas à ton cerveau ce dont il a besoin.
Pour se construire, il a besoin d’expérience, pour analyser et se fixer des limites. Derrière l’écran, tu n’expérimentes pas grand-chose. Ce qui peut déclencher cette sensation d’engourdissement, de vide, voire, pour les plus sensibles, de dépression, à cause des contenus publiés sur l’application.
Petit guide de survie sur TikTok
Pour ne pas tomber dans les pièges de l’appli, Okapi te propose ces 7 règles d’or.
1. Protège ta vie privée
Si tu as moins de 15 ans, ton compte sera automatiquement configuré en mode privé. Mieux vaut ne pas mentir sur ton âge, car sinon, ce ne sera peut-être pas le cas. Assure-toi bien de ça dans les réglages pour que tes vidéos ne puissent pas être reprises par d’autres utilisateurs. Tu peux aussi restreindre et filtrer les commentaires.
- En dessous de 15 ans, la nouvelle loi sur la majorité numérique imposera désormais de demander l’accord des parents pour s’inscrire.
2. Tourne le dos aux challenges
Labello Challenge, Blackout Challenge… Une seule règle : fuir tous ces défis plus dangereux les uns que les autres. Certains internautes ont été gravement blessés – ou sont morts – en essayant de les reproduire.
3. Ne poste pas à tout-va
Beaucoup d’ados regrettent d’avoir posté des vidéos d’eux-mêmes lorsqu’ils étaient plus jeunes. Une vidéo qui te paraît “cool” aujourd’hui te semblera peut-être ridicule demain. Si tu en as quand même envie tu peux les passer en mode brouillon et ne les montrer qu’à tes amis proches !
4. Ne swipe jamais le matin
Ton cerveau est frais et disposé à apprendre et mémoriser. Scroller dès le matin réduit tes performances.
5. Fixe-toi un temps d’écran
Tu peux fixer une limite de temps sur l’appli (par exemple 15 min ?) pour qu’un message d’alerte s’affiche. Il est automatique à partir d’une heure d’utilisation pour les mineurs. Pour plus d’efficacité, parles-en avec tes parents. Demande-leur de te fixer cette limite si tu n’y arrives pas !
6. Protège ton sommeil
Achète-toi un réveil et éloigne ton téléphone de ton lit. Surtout, n’ouvre pas l’appli la nuit, même si tu n’arrives pas à dormir. Ça ne fera qu’aggraver le problème.
7. Sors de ton antre
Lève la tête de ton écran et va voir tes amis. Partagez des activités. Ce sont ces souvenirs-là que vous garderez, plus tard. Pas ceux des heures passées sur TikTok.
- Découvre le quiz “À quel point connais-tu TikTok ?” dans les pages de l’article à télécharger.