Rien n’y fait. Une fois leurs séries préférées lancées, nos ados ne peuvent s’empêcher d’enchaîner les épisodes. Normal : le chant des sirènes du binge-watching est irrésistible (faites-nous signe si vous arrivez, vous, à y résister…). Phosphore, le magazine Bayard Jeunesse des plus de 14 ans, explique pourquoi dans un article à partager en famille.
Le binge-watching n’est pas né avec le streaming et la génération Z. Dans des temps (pas si) reculés, les parents dévoraient aussi en quelques heures ou quelques jours des saisons entières de Friends et autres Gossip Girl. Mais ils devaient pour cela patienter jusqu’à la sortie de la série en DVD, voire en vidéocassettes (ce vieux truc du siècle dernier fonctionnant avec un magnétoscope comme dans Stranger Things !). Au passage, ils vidaient aussi leur porte-monnaie pour se les offrir (autour de 45 € la saison), à moins de les emprunter au vidéoclub. Mais si la pratique du binge-watching n’est pas nouvelle, « elle est facilitée et automatisée par les plateformes qui rendent accessibles une profusion de programmes en un clic pour un coût modique », explique Benjamin Campion, enseignant-chercheur en cinéma et audiovisuel à Lille. En clair, depuis l’arrivée de Netflix en France en 2014 (et dans la foulée, des autres plateformes), binge-watcher est plus facile et beaucoup moins cher !
Binge-watching : Tout, tout de suite et en même temps
Outre les « anciennes » séries d’abord diffusées sur les chaînes de télé, les plateformes présentent aussi leurs propres créations, les fameuses « originals », telles que Mercredi pour Netflix ou The Mandalorian pour Disney+. Pour ces fictions, Netflix a inventé un nouveau modèle de diffusion : la firme met en ligne le même jour tous les épisodes de la saison… sans publicité ! « C’est ce qui a vraiment changé la donne, estime le spécialiste. On peut voir autant d’épisodes que l’on veut sans attendre. Cela pousse à l’impatience et à la consommation ! C’est d’ailleurs de là qu’est née l’expression binge-watching », en référence au binge-drinking, qui consiste à boire beaucoup d’alcool très vite pour atteindre l’ivresse. Mais elle est selon lui « stigmatisante et réductrice » : « Ce n’est pas parce que les gens regardent 6 épisodes à la suite qu’ils n’ont plus conscience de ce qu’ils voient. »
Les plateformes nous rendent accros aux séries
« Notre seul concurrent dans cette industrie, c’est le sommeil. » Cette phrase on la doit à Reed Hastings, le PDG de Netflix. Si le but des plateformes est d’abord de gagner tes faveurs (et ton abonnement) grâce à leurs catalogues, il s’agit ensuite et surtout de te garder à tout prix. Bien sûr, c’est toi qui décides : tu peux t’arrêter en plein milieu d’un épisode, puis le reprendre quand tu en auras envie. Et si ce n’était qu’une impression ? Car les plateformes ont des outils pour nous empêcher de fermer les yeux.
• L’algorithme de recommandation : quand tu as fini une série, il te propose aussitôt d’autres fictions qui correspondent à tes goûts. Plus besoin de fouiller pour trouver la perle rare, l’interface te l’offre sur un plateau. De quoi t’inciter à la regarder… sans attendre.
• L’enchaînement automatique des épisodes, la suppression du générique et la vitesse de visionnage : « Ces options créent un effet d’enfermement, analyse Benjamin Campion. Avant, il fallait agir pour continuer à regarder le programme, mais avec les plateformes, il faut agir pour en sortir. » Tu peux ainsi te retrouver prisonnier volontaire d’une boucle infinie d’images et d’intrigues, dont tu peines à t’évader.
• L’interactivité. Netflix, Disney, Prime… t’encouragent à noter les contenus, valorisant ainsi ton avis et flattant ton ego. « En te demandant de cliquer sur “J’aime, j’aime pas”, les plateformes semblent te demander d’activer ton libre arbitre. Mais officieusement, tous les autres mécanismes poussent à te garder passif. » Plus que ton opinion, ce qui est sollicité, c’est ton attention.
Alerte Dopamine : ça fait du bien (mais pas que !)
Le binge-watching relève… de la chimie. Que ceux qui se plongent dans Umbrella Academy plutôt que de réviser le tableau périodique des éléments évitent de paniquer. Quand tu regardes une série que tu apprécies, ton cerveau sécrète de la dopamine, dite « hormone du plaisir ». Elle envoie à ton organisme un signal de satisfaction qui renforce ton envie de binge-watcher. Et a contrario, tu ressens une grosse frustration si ton besoin n’est pas assouvi. Rassure-toi : le risque de développer une réelle addiction reste assez faible. Plus grand est celui de finir par manquer de sommeil ou de voir ta masse musculaire fondre après avoir passé des heures sur ton canapé… Moralité ? Les séries, c’est bon, mais à consommer avec modération !
On veut pouvoir parler des séries… sans être spoilé·e
Une date est marquée d’une croix sur ton calendrier : la saison 2 d’Arcane sort en novembre. Tu as donc réservé ta soirée pour la mater en intégralité. Pas question d’attendre au risque d’être spoilé·e. « Dès lors que tous les épisodes sont disponibles en même temps, il y a une course à la découverte pour éviter les révélations sur les réseaux… », constate Benjamin Campion. Eh oui, le binge-watching, c’est aussi une question de moment et de sociabilité : « Si tout le monde autour de soi parle à un instant T de Squid Game, on veut aussi pouvoir le faire et donc on va regarder la série », développe le spécialiste. « On y est également poussé par la peur de rater quelque chose, que les Anglo-saxons appellent the fear of missing out [syndrome FOMO, NDLR]. » Amplifiée par les réseaux sociaux, cette angoisse de manquer une info ou un événement, et en conséquence, d’être « exclu·e » de la communauté, t’engage à rester devant ton écran jusqu’à tout connaître de l’intrigue et être capable d’en discuter.
Les histoires semblent (enfin ?) passionnantes
Il était une fois un gentil policier (ça marche aussi avec un détective privé ou un docteur) qui enquêtait sur un crime atroce (ça marche aussi avec un cambriolage ou une maladie), et qui après quelques rebondissements, arrêtait le méchant tueur (ça marche aussi avec un voleur ou un virus) à la fin. Ce pitch, un poil “prévisible” (ça marche aussi avec “carrément ennuyeux”), a longtemps été celui des séries à la télé. Les histoires, bouclées à la fin des épisodes, pouvaient ensuite être rediffusées et donc rentabilisés. Puis est venu le temps des séries du câble (HBO, Canal+…) comme Game of Thrones. Sans contrainte de publicité ou de rediffusion, elles se sont révélées plus diverses dans le fond et la forme : « C’est sur ce modèle que sont bâties les fictions des plateformes », explique Benjamin Campion. Il faut voir l’ensemble de la saison pour avoir les réponses aux questions posées dans le pilote. Et il y a beaucoup de cliffhangers, ces fameux rebondissements en fin d’épisodes, pour entretenir le suspense… et te pousser à regarder la suite.
Qui dit intrigues à tiroirs, dit souvent séries de genre : « Les plateformes ont beaucoup développé les thrillers, les dystopies ou les fictions fantastiques parce qu’elles provoquent le besoin de savoir et donc l’addiction », confirme l’enseignant. Dernier atout de ces séries : leur inclusivité. Elles convoquent des acteurs et autant d’actrices (c’est important !) issus de toutes origines pour incarner des personnages de toute sexualité, genre et religion. Bref, elles tendent un miroir de la société dans lequel tu peux enfin te reconnaître !
Bientôt la fin du binge-watching ?
Selon une étude réalisée en 2023 (source YPulse), 53 % des Millénials et des GenZ préfèrent binge-watcher plutôt que de regarder un épisode par semaine. C’est beaucoup mais c’est 10 % de moins qu’en 2018. Et cette tendance à la baisse s’accompagne d’un changement de stratégie du côté de Netflix. À l’image de Disney+ ou Prime video, qui privilégient les diffusions hebdomadaires, la plateforme échelonne désormais certaines de ses séries (You, La Chronique des Bridgerton…) en deux parties. La raison ? Leur coût ! Il s’agit de les faire durer pour les rentabiliser. Un mal pour un bien : on retrouve ainsi le plaisir de savourer chaque épisode, d’y repenser et d’en débattre à tête reposée. Sans compter l’excitation de l’attente !