Comment éveiller son enfant à la musique ? Pourquoi est-elle si importante pour son développement ? Le supplément pour les parents de Pomme d’Api vous guide et fait le point sur 5 idées fausses sur la musique.
Quand l’oreille s’éveille…
Elle frotte sa petite voiture sur le sol, aller-retour, aller-retour : frtt frrrtt… Il racle sa cuillère sur le fond de l’assiette : sssss, ssss… Elle froisse et défroisse un sac en papier, il laisse glisser sa main le long des barreaux de la rampe de l’escalier : tacatacatac… Selon notre humeur, deux possibilités s’offrent à nous. Soit nous nous agaçons : “Oh, arrête, ça fait du bruit !” Soit nous écoutons ces sons de la même façon que nous admirons les premiers dessins de nos enfants. Bref, nous observons avec nos oreilles ! Tout comme la trace graphique, l’enfant s’empare des bruits : ce sont les traces sonores de ses mouvements. Il les découvre souvent par hasard et en explore le volume, l’intensité, la répétition, le rythme, la hauteur…
Tous musiciens de naissance
Cette exploration n’est pas nouvelle. L’ouïe fonctionne déjà in utero. Dès 5 mois, l’oreille est mature. Si bien qu’à sa naissance, le bébé a déjà une expérience sonore. Il a été bercé par des rythmes (le cœur, les pas…), par la mélodie des voix, par les bruits de la vie. Le sens auditif est très important dans son éveil au monde. Face à un objet, il regarde, il touche, il goûte et il écoute. Beaucoup plus que nous !
Cette partition faite de sons, il va peu à peu lui donner du sens : alors que nous allons tout de suite identifier une cloche qui sonne au lointain, pour lui, ce ne sera d’abord qu’un son, dépourvu de sens. “L’apprentissage de la langue est lui aussi musical”, explique la linguiste Christelle Dodane, qui a consacré sa thèse à ce sujet. Le bébé repère la mélodie de sa langue maternelle, et les adultes accentuent spontanément l’intonation, le rythme, les pauses, quand ils s’adressent à lui, dans une forme de pédagogie intuitive.
À la croisée des chemins entre langue et musique, on trouve le chant, à la fois patrimoine culturel et pratique artistique. La berceuse, la comptine, la chanson permettent des moments de complicité uniques tout autant qu’un travail articulatoire et respiratoire très précieux pour l’acquisition du langage ! Chanter “en vrai”, sans passer par un enregistrement ou une vidéo, c’est rejoindre son enfant : “On s’accorde à lui, constate joliment Agnès Chaumié, musicienne, spécialisée dans les comptines pour les tout-petits. On adapte sa chanson à son auditeur, à son tonus, à son état émotionnel, on chante à la fois pour et avec lui : on partage une même émotion, un même état du corps, une même humeur.”
On se met au diapason
Qu’est-ce que la musique, si ce n’est une organisation de sons, un jeu avec cette matière sonore ? “Accompagner l’enfant dans son éveil musical, note Agnès Chaumié, c’est prendre le temps d’écouter comment il exerce de lui-même ses talents de musicien.” Il n’est pas question ici d’enseigner la musique, mais de permettre à l’enfant de poursuivre sa découverte sensorielle. Sauf qu’il n’est pas facile pour un adulte de retrouver cette virginité sans classer les sons entre “beaux” et “laids”, entre “musique” et “bruit”.
“Trop souvent, on est persuadé que pour qu’il y ait musique, il faut qu’il y ait un instrument, reprend la musicienne. Ce n’est pas vrai !” Entrons carrément dans le jeu musical, en répondant en écho : cling cling, la fourchette, toc toc, le couteau… et c’est parti pour un petit concert de cuisine : accompagner, imiter, répondre, introduire un silence, reprendre tout doucement, puis plus fort…
On dresse l’oreille ?
Inversement, entrer dans la musique, c’est aussi prêter une attention particulière aux bruits du monde. Philippe Genet forme des futurs professeurs de musique diplômés d’état à intervenir “dans la cité”, c’est-à-dire en dehors des conservatoires ou écoles de musique. Dans les écoles maternelles, il invite à proposer avant tout une expérience sensorielle qui commence souvent par l’écoute de l’environnement sonore : qu’est-ce qu’on entend dans la classe ? Dans la cour ? Dans la rue ? Quels sons peut-on produire avec la main, avec le crayon ? Plus aigu, plus grave, plus fort, plus doux… Quels sons vous évoque telle ou telle image ? Faire de tels jeux sonores “place tout le monde au même niveau”, ceux qui sont baignés de musique à la maison comme ceux où l’on n’en entend jamais. L’artiste, ensuite, peut partir de ce qui émerge et improviser avec.
De ces moments de partage, Philippe Genet retient l’extrême ouverture des enfants : “Ils n’ont pas d’a priori, sont très ouverts sur les mondes sonores… C’est le meilleur public pour la musique contemporaine !” Leurs impressions se manifestent sans filtre, raconte le musicien : “certains enfants vont se boucher les oreilles, d’autres vont être apeurés, intrigués, d’autres vont rire…” Une même musique provoque rarement des réactions unanimes. L’occasion précieuse d’autoriser les enfants à exprimer ce qu’ils ressentent, de leur faire constater que l’autre réagit différemment, sans jugement.
On écoute… de tout !
“On entend souvent cet a priori : la musique classique, c’est pour les vieux !” sourit Jocelyn Mathevet, jeune trompettiste professionnel de l’Opéra national de Lyon. Avec quatre autres cuivres de l’orchestre symphonique, il apprécie de “quitter la fosse” pour aller “à la rencontre d’autres publics”, et en particulier des enfants de crèches ou de maternelle.
Le quintette a sélectionné de courts extraits “aussi bien du répertoire du 18e siècle que du jazz ou de la musique de dessin animé. La plupart des enfants voient et entendent un instrument en vrai devant eux pour la première fois. Rien à voir avec un enregistrement. Ils se rendent compte qu’il y a de vraies personnes derrière l’instrument. Ça leur parle, ça leur plaît, certains se mettent à danser.” Le musicien, qui a lui-même commencé la trompette à 5 ans, est très attaché à ces séances.
L’éducation au son, “c’est une mission de service public”. Une mission fondamentale, parce que “l’exploration sonore ouvre sur l’expression de soi, le développement de l’imaginaire et la compréhension du monde, énumère Agnès Chaumié. Elle construit les bases de notre rencontre avec la musique.” Si tant est qu’on “ne leur mette pas la pression, qu’on n’ait pas d’idée préconçue sur ce que l’enfant devrait apprendre, poursuit Philippe Genet, la musique, comme tous les arts, nous aide à grandir, à ressentir le monde différemment.”
5 idées fausses sur la musique
Quand on chante faux, mieux vaut se taire ! – Faux
Vous êtes persuadé de chanter faux ? Quelle importance ! Agnès Chaumié en est convaincue : “Je suis sûre que la bonne mélodie s’entend et que l’essentiel de l’émotion artistique circule malgré tout. L’enfant est sensible à cette façon d’être ensemble.”
Faire de la musique, c’est jouer d’un instrument – Faux
Frapper dans ses mains, marcher en rythme, frotter un objet sur le sol, chanter, siffler, tout ça, c’est faire de la musique !
Une guitare en plastique fera l’affaire… – Faux
On peut tout à fait mettre à la disposition des enfants des instruments de musique, mais il faut qu’ils sonnent bien, qu’ils produisent une vraie matière sonore. Pourquoi pas une guitare miniature, mais avec de vraies cordes et un joli son. Le balafon, le djembé, les maracas, les cloches… tout cela fonctionne bien. Contrairement aux idées reçues, la flûte à bec n’est pas si simple : il faut pouvoir boucher les trous avec ses doigts… Difficile pour des petites mains, et compliqué à coordonner. La flûte à coulisse les amusera davantage. L’harmonica est intéressant : souffler et inspirer produisent un son différent.
Les chansons anciennes sont ringardes… – Faux
“Maman, les p’tits bateaux ont-ils des jambes ? Mais oui mon gros bêta, s’ils n’en avaient pas, ils ne march’raient pas.” Hum… les paroles du répertoire traditionnel laissent parfois perplexes. “Mais une chanson, ce ne sont pas que les paroles ! Ne leur donnons pas trop d’importance. Les enfants ne sont pas dans la rationalité face à une chanson.” Ainsi le texte de “Pirouette Cacahuète” semble avoir été composé sur un coin de table, mais emporte toujours un franc succès auprès des enfants, ravis de prononcer ces deux mots rigolos, qui sonnent aussi comme “Pipi caca”, joie ! Quant aux classiques petites bêtes qui montent, pommes de reinette, marionnettes, que l’on chante à deux avec des gestes, “elles ont l’air anodines, constate Agnès Chaumié, mais il s’y joue des choses profondes : la peur de la séparation, de l’abandon, de la fusion…” Allez, c’est parti : à cheval sur mon bidet !
Il faut commencer très jeune ! – Vrai et faux
Selon la pédagogie appliquée et les objectifs poursuivis, l’apprentissage de la musique nécessite de l’entraînement régulier. Cela peut décourager et dégoûter les plus jeunes. À l’âge de la maternelle, des ateliers “d’éveil musical”, conçus comme des moments d’expression, sans attente de résultats techniques, affinent l’ouïe, le rythme, développent les sens et permettent à l’enfant de découvrir un panel d’instruments. Pour commencer vraiment la pratique d’un instrument, 7-8 ans est un bon âge, mais certains commencent adolescents, avec une grande motivation, et ça marche aussi !
Des livres pour ouvrir grand ses oreilles
Je chante avec mon bébé d’Agnès Chaumié
Une véritable anthologie de la chanson pour les tout-petits, avec 107 morceaux : berceuses, jeux de doigts, chansons à gestes, rondes, etc.
Enfance & musique (1 livre + 2 CD).
Musique pas bête de Nicolas Lafitte, Bertrand Fichou et Pascal Lemaître.
Cet ouvrage répond à 40 questions d’enfants tous azimuts sur la musique et les instruments. Ludique et instructif. Dès 5-6 ans.
Bayard jeunesse (avec une playlist France Musique).
Dans mes oreilles, j’entends le monde de Romana Romanyshyn et Andriy Lesiv. Du battement de cœur aux ultrasons, voici un bel ouvrage graphique sur la naissance du son et ses infinies variations. Pour les plus grands.
Rue du Monde.