Du confinement aux vacances, nous avons passé beaucoup de temps avec nos enfants. Comment cela a-t-il changé notre relation et notre manière d’être ensemble ? La séparation ne risque-t-elle pas d’être plus difficile au moment de reprendre le chemin de l’école ? À l’approche de la rentrée, la psychologue et psychanalyste Sophie Marinopoulos a répondu aux questions de Pomme d’Api avec chaleur et simplicité…
Comment tout ce temps passé ensemble, du confinement aux vacances, a-t-il modifié les relations entre les parents et les enfants ?
Sophie Marinopoulos : Le confinement a été une rupture dans la vie de chacun. On s’est retrouvés tous privés de notre vie habituelle, de sa linéarité, et pour les enfants, de leur rythme, de leur socialisation, de leurs activités. Nos enfants font partie d’une génération très occupée, à qui on “fait faire” beaucoup de choses – du sport, de la musique, du dessin, etc. – et c’est très bien. Avec le confinement, d’un seul coup cette profusion de propositions s’est arrêtée et ils ont découvert l’ennui. Et l’ennui appelle aux jeux libres, à l’imaginaire qui est le support de l’autonomie. Quand on s’ennuie, on râle, on ronchonne… et puis à un moment donné, l’enfant va commencer à regarder autrement autour de lui. Puis faire des choses, tripoter, toucher. Et démarrer un jeu imaginaire. Les enfants ont besoin de beaucoup d’ennui pour “chauffer” leur imagination. C’est ça l’autonomie ! Ils en ont absolument besoin pour leur développement cognitif, affectif, intellectuel. Ces derniers mois, il y a des parents qui ont compris et réalisé qu’ils n’encourageaient pas suffisamment ces temps libres. Par exemple, un enfant peut regarder ses livres seul. Il peut choisir un livre, le regarder, le mettre à l’envers sans qu’on vienne lui dire que ce n’est pas ainsi qu’on lit… Cette prise de conscience que l’enfant peut faire des choses tout seul est vraiment positive.
Mais les enfants, en particulier les plus petits, ont aussi été “collés” à leurs parents, très longtemps…
S. M. : C’est vrai qu’avec le confinement, il a fallu se supporter dans cette proximité. Pour les familles, cela a nécessité des aménagements qui se sont faits avec plus ou moins de bonheur. Il n’y avait plus ce rythme humain qui va de la séparation aux retrouvailles. Ce rythme scande la vie affective des enfants, mais aussi des adultes : on se sépare et on se retrouve. C’est même le sel de la vie, ce mouvement alterné qui permet de se séparer pour mieux se retrouver !
Vous parlez du rythme d’une journée “classique”, de la séparation du matin, aux retrouvailles du soir ?
S. M. : Oui, tout à fait. Dans la séparation, il y a la promesse des retrouvailles. Et la joie des retrouvailles, c’est “on se raconte”, on se donne des nouvelles, on explique ce qu’on a fait dans la journée. Les familles ont été privées de ces temps de plaisir. Mais au final, ce qui est bon, c’est que notre manière d’être ensemble et de se parler a changé.
Qu’est-ce qui a changé dans notre manière d’être ensemble ?
S. M. : Notre société est totalement boulimique de rapidité. On veut toujours que tout aille vite et très vite. Les parents sont rentrés dans une relation très informative avec leurs enfants. Le dialogue, en fait, se résume la plupart du temps à des questions d’ordre très “informationnelles”, même avec des tout-petits : “Tu as bien goûté ?”, “Tu t’es bien lavé les dents ?”, “Dépêche-toi, demain matin on se lève tôt”. Ce mode de communication est devenu très sec, avec peu d’échange, peu de récit. Mais en passant plus de temps ensemble, cette relation s’est transformée et a permis des questions plus ouvertes – “Tu as lu Pomme d’Api ? Et c’était l’histoire de quoi ?” – permettant de retrouver l’importance du récit dans les relations familiales.
Pourquoi le “récit” est-il important dans la relation ?
S. M. : Nous sommes des êtres de langage, de récit. Quand un parent s’adresse à son enfant, il l’inscrit dans le monde des mots. Dans les échanges que nous avons avec les parents, grâce à la ligne téléphonique des “Pâtes au Beurre”, nous rappelons sans cesse combien il est important de parler à un enfant, même – et surtout… – à un enfant tout petit. Il est parfaitement au fait de ce qui se passe autour de lui. Plus il est petit, plus il perçoit une dimension sensorielle, émotionnelle. Ce qui intéresse les enfants, notamment à l’âge de vos petits lecteurs, ce n’est pas la réalité du coronavirus, mais comment nous, les adultes, nous vivons avec… Ils ne comprennent peut-être pas tout, mais ils sont dans la quête de la compréhension de ce que cela “fait” aux adultes, et surtout à leurs parents ! Il faut donc parler à un enfant de ce que nous ressentons. Cela se partage. Par exemple, si un parent dit : “Tu sais, parfois j’ai un petit peu peur”, ou encore si un papa dit : “Tu as vu, Maman, elle a moins peur que moi”, l’enfant sent la présence de ses parents et il se sent accompagné dans ce qu’il vit à l’intérieur de lui. Ces confidences partagées construisent la famille.
Les enfants perçoivent-ils donc notre inquiétude ou notre sérénité ?
S. M. : Ils la perçoivent 5 sur 5, et un parent qui est tout le temps inquiet, fragilisé, par son inquiétude, par son stress, est un parent qui a du mal à “tenir debout”. Or les enfants ont besoin de prendre appui sur les adultes, et tout particulièrement leurs parents, pour grandir. Et quand ils sentent que leur parent ne va pas très bien, en général, ils vont “aller y voir”, en insistant jusqu’à devenir “harceleurs”. Les parents nous disent beaucoup : “Mais je lui ai dit que j’étais fatigué, je lui ai dit qu’il fallait qu’il me laisse tranquille, et il continue, et c’est même pire qu’avant. Il fait exprès !” Ce mouvement de “il fait exprès”, on le surveille toujours de très près, nous les psys, parce que c’est un mouvement qui transforme l’enfant en agresseur. Et quand on se sent agressé, on agresse. C’est l’origine de la violence familiale. Il est donc très important de mettre des mots. De redire aux parents à quel point un enfant va essayer de déceler l’état émotionnel de son parent. Nous sommes d’accord que tous les parents connaissent cette fatigue d’être parent. C’est légitime. Quand on explique à l’enfant sa fatigue, il faut lui dire de ne pas s’inquiéter, que tout va bien et qu’il peut jouer tranquillement pendant que lui, le parent, reprend un peu de forces. Un tout-petit est surtout bouleversé par les réactions des adultes, plus que par la réalité.
Après tout ce temps passé ensemble, la séparation ne sera-t-elle pas plus difficile lors de cette rentrée ?
S. M. : Cette rentrée va sans aucun doute nécessiter d’aider l’enfant à se projeter dans son futur, encore plus que d’habitude… Il n’a pas la même notion du temps que nous adultes. Mais en lui disant : “Tu sais, tu vas retourner à l’école”, “Tu te souviens des copains ?”, “Tu vas peut-être retrouver untel, untel, untel… ” etc., on commence à mettre de la projection, à dire ce qui sera identique et différent. En effet, l’école va revenir. Et pour ceux qui rentrent à l’école pour la première fois, elle va arriver. Pour les plus petits, les parents peuvent évoquer des enfants qu’ils connaissent, ils prendront appui sur ces enfants-là. Et aussi surtout raconter l’école. On en revient au récit : “Tu sais, il y aura une maîtresse. Et puis vous allez faire des jeux. Vous aurez un endroit pour jouer…” Le rôle des parents est d’anticiper et de raconter, pour permettre une production d’images. L’enfant va alors se représenter dans cet ailleurs qu’il connaît, ou pas.
Le rapport à l’école n’a-t-il pas aussi bougé ?
S. M. : Oui, ce temps de confinement a ouvert les yeux de certains parents sur l’école. Ils ont pris conscience des programmes scolaires de leurs enfants et de ce qu’ils apprenaient à l’école. Cela les a conduits au mieux à adhérer, mais je dois dire le plus souvent à critiquer le contenu proposé. Il y a vraiment un changement de regard qui pourrait être suffisamment important pour provoquer une transformation. Avec, selon moi, des exigences parentales tout à fait justifiées. Peut-être aussi que face au coronavirus et tous ces gestes barrières, on va enfin comprendre que trente enfants de 3 ans dans une classe, c’est invivable… pour passer à des classes de 15 enfants maximum ? Cela me paraît être un débat primordial pour les classes de maternelle. Le confinement a été un élément déclencheur. Et aujourd’hui, davantage de parents ont conscience de leur rôle par rapport à l’école. Et comprennent qu’ils sont des citoyens qui doivent exiger des choses pour leurs enfants.
Sophie Marinopoulos
Fine observatrice du lien parent-enfant, voilà plus de 35 ans que Sophie Marinopoulos explore la complexité des relations familiales. Psychologue et psychanalyste, elle fonde en 1999 un réseau d’accueil pour les parents : Les Pâtes au Beurre. Pendant le confinement, cette association a lancé une ligne téléphonique, très vite débordée d’appels.
• Quelques dates :
1958. Naissance à Paris de Sophie Marinopoulos. 1983. Début de sa vie professionnelle comme psychologue dans un centre de planification et d’éducation familiale. 1999. Création du premier lieu d’accueil “Les Pâtes au Beurre”, à Nantes. 2019. Rapport ministériel “Une stratégie nationale pour une santé culturelle” et experte dans la Commission des “1000 premiers jours de l’enfant” lancée par Emmanuel Macron. Elle est l’auteur de :
- Un virus à deux têtes, Traversée en famille au temps du Covid-19, (Partie 1, confinés en famille), Sophie Marinopoulos, Les Liens qui Libèrent, 2020 (E-book).
- Dites-moi à quoi il joue, je vous dirai comment il va, Sophie Marinopoulos, Poche Marabout.
Les Pâtes au Beurre
Le réseau Les Pâtes au Beurre, ce sont 10 lieux d’accueil gratuits et sans rendez-vous pour les familles. Elles peuvent venir avec ou sans enfant, quel que soit leur âge, pour échanger et discuter avec des professionnels (psychologue, psychiatre, psychomotricien). La mission de l’association est précisée par ces 4 lettres : PPSP, pour “Prévention et Promotion de la Santé Psychique”, c’est-à-dire de la santé relationnelle. Mais pour les parents qui poussent la porte, ce sont “Les Pâtes au Beurre”, par référence à la cuisine, ce lieu central de la maison, rassurant et accueillant. Sophie Marinopoulos a puisé cette idée de la “psychothérapie dans la cuisine” auprès d’une assistante sociale américaine, devenue par la suite psychanalyste, Selma Fraiberg. Mais le principe d’un espace gratuit et sans rendez-vous trouve ses origines chez Françoise Dolto et sa “Maison Verte”, créée en 1979, pour accompagner les tout-petits dans leur travail de socialisation avant l’entrée à l’école.
• Nouveau numéro Psy Santé Parents : 02 40 16 90 50 (permanence téléphonique tous les lundis de 9 h à 11 h et les vendredis de 12 h à 14 h).